Le Venezuela est plus bolivarien que jamais (1).  Avec 20 états sur 23 –  dont cinq bastions repris à l’opposition de droite, le triomphe des candidats du programme bolivarien aux régionales de ce dimanche 16 décembre 2012 rappelle à ceux qui l’auraient oublié que le Venezuela vit une double révolution.

La première est la transformation d’un peuple en sujet politique. En Europe, pour des raisons sociologiques et médiatiques, ce fait suscite moins d’intérêt que la question «  qui va succéder à Chavez ? ». Mais le Venezuela n’est pas une monarchie : il y a dans ce pays une constitution républicaine, des élections pour choisir ou rejeter les programmes portés par des candidats et surtout, un peuple conscient, mobilisé, capable de critiquer et d’orienter la politique.

Il y a quinze ans, avant la première victoire bolivarienne aux présidentielles, le champ politique se caractérisait par un apartheid de fait. Une partie de la classe moyenne et de l’élite locales, minoritaires, rêvaient (et rêvent encore parfois) d’exterminer une myriade d’insectes grouillant dans les cerros, dans les barrios surplombant Caracas. Cette majorité sociale occupe aujourd’hui le centre de l’espace politique et, vote après vote, accélère le temps historique. Cette intensité génère de nouveaux problèmes à résoudre.

Jesse Chacón, ex-ministre et directeur de la fondation de recherches sociales GISXXI, pointe ainsi le retard de la forme politique sur l’électorat populaire en notant “la fragilité du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV, principal parti bolivarien) qui n’a pas réussi à se muer en “intellectuel collectif » (Gramsci), en parti capable de s’articuler territorialement et socialement avec les gens et de prendre la tête de la mobilisation. Au contraire cette fraction révolutionnaire maintient une trame interne trop complexe pour mener des processus d’organisation solides et permanents. Sa manière répétée de ne s’activer qu’en fonction des élections sans être présent dans la bataille autour des problèmes quotidiens des gens, le cantonne à n’être qu’un espace symbolique que le peuple identifie conme le parti de Chavez et auquel, comme tel, il donne son vote. Reste à penser comment construire un vrai détachement collectif capable de conduire la société vénézuélienne dans une transition difficile et ardue vers le socialisme. » (2)

L’autre révolution, c’est la renaissance de l’Etat et la multiplication de services publics de grande envergure. Il ne s’agit pas d’un simple refinancement, d’une simple « sortie du néo-libéralisme » mais de construire un nouveau type d’État. Prenons l’exemple de la Mission Logement. (3)

Avant la révolution bolivarienne, les quartiers populaires aux toits de carton et de zinc dépeints par la chanson « Techos de cartón » d’Ali Primera en 1974, n’étaient que l’expression la plus visible du drame de la pauvreté et de l’exclusion sociale. En faisant résonner le mot car-tón, Ali Primera disait la condition réelle d’une population sans État, sans défense face aux éléments, livrée à l’exploitation quotidienne. (4)

 

¡Qué triste, se oye la lluviaen los techos de cartón !¡Qué triste vive mi genteen las casas de cartón !Viene bajando el obrerocasi arrastrando los pasospor el peso del sufrirmira que es mucho el sufrir !¡ mira que pesa el sufrir !Arriba, deja la mujer preñada

abajo está la ciudad

y se pierde en su maraña

hoy es lo mismo que ayer :

es su vida sin mañana

Recitado

« Ahí cae la lluvia,

viene, viene el sufrimiento

pero si la lluvia pasa

¿ cuándo pasa el sufrimiento ?

¿ cuándo viene la esperanza ? »

Niños color de mi tierra

con sus mismas cicatrices

millonarios de lombrices

Y, por eso :

¡ Qué tristes viven los niños

en las casas de cartón !

¡ Qué alegres viven los perros

en casa del explotador !

Usted no lo va a creer

pero hay escuelas de perros

y les dan educación

pa’ que no muerdan los diarios,

pero el patrón,

hace años, muchos años

que está mordiendo al obrero

oh, oh, uhum, uhum

¡ Qué triste se oye la lluvia

en las casas de cartón !

¡ qué lejos pasa la esperanza

en los techos de cartón !

 

Comme elle est triste la pluie qu’on entendsur les toits de carton !Comme elle est triste la vie de mon peupledans les maisons de carton !L’ouvrier arrived’un pas traînantsous le poids de sa  souffrance.Regarde comme il  souffre !Regarde comme la souffrance lui pèse !En haut il laisse sa femme enceinte,

en bas il y a la ville

et il se perd dans son maquis

aujourd’hui pareil qu’hier :

c’est sa vie sans lendemain.

Récitatif

Là-bas tombe la pluie,

elle vient, elle vient la souffrance.

Mais, si la pluie cesse,

quand la souffrance cessera-t-elle ?

Quand viendra l’espoir ?

Enfants de la couleur de mon pays,

comme lui, pleins de cicatrices,

millionnaires en parasites.

C’est pourquoi :

Qu’elle est triste la vie des enfants

dans les maisons de carton !

Qu’elle est gaie la vie des chiens

dans la maison de l’exploiteur !

Vous n’allez pas me croire

mais il existe des écoles pour chiens

où on les éduque

pour qu’ils ne mordent pas les journaux.

Mais le patron,

depuis de très longues années,

ne cesse de mordre l’ouvrier.

Oh, oh, mmm, mmm

Qu’elle est triste la pluie qu’on entend

dans les maisons de carton !

L’espoir, comme il passe loin

des toits de carton !

Avec la Grande Mission Logement Venezuela lancée en avril 2011, le gouvernement cherche à restituer un des droits fondamentaux dont furent privés pendant tant d’années ces millions de vénézuéliens contraints de construire des baraques sur des terrain à risques, maintenus à l’écart des centres urbains dont les terrains sûrs étaient aux mains de gros propriétaires et d’agences immobilières.

Pour l’année 2012, cette mission offre un bilan de 311 mille 992 logements construits (soit 89% de l’objectif prévu pour 2012). Ils ont été remis principalement à ceux qui avaient perdu leur foyer lors des graves inondations de 2010, aux familles qui hier encore écoutaient « le triste bruit de la pluie sur les toits de carton ».

Dans des pays comme l’Espagne, la disparition progressive de l’État social a eu pour conséquence durant les quatre dernières années 350.000 saisies hypothécaires. Le bilan pour 2012 est de 18.668 expulsions, soit une hausse de 13,4% par rapport au deuxième trimestre de 2011. 34% des suicides, selon les statistiques officielles, sont dus à des expulsions.

À Caracas, Yana Coelli est formatrice populaire dans le secteur El Recreo. Elle se charge d’organiser les processus de formation et d’organisation communale. Un des problèmes qu’elle affronte avec les quasi 200 personnes des huit conseils comunaux de la commune en construction de sa juridiction, est précisément celui du logement.

« Nous avons commencé le 7 juin 2012 par des réunions d’orientation pour former les assemblées citoyennes techniques sur le logement. Lors des deux premières réunions nous avons utilisé la méthodologie de « l’arbre du problème » pour détecter ensemble les causes profondes du manque de  logements, comprendre pourquoi nous étions obligés de louer ou d’être acculés dans des terrains à haut risque. Le but était que tous voient que ce besoin ne se réduit pas à nous seulement mais qu’il est vécu à l’échelle nationale. Nous avons dû remonter l’histoire du pays, les quarante ans de fausses promesses des gouvernements de la quatrième république, l’éléphant blanc d’Inavi (Institut National du Logement). Les gens ont beaucoup participé, un climat de confiance s’est noué. Après les élections nous avons repris les réunions, à chacune d’elles ont assisté en moyenne une centaine de personnes.«

Pour Yana, la participation est fondamentale, mais plus encore la formation. Pour elle, seuls des conseils comunaux organisés, menant les recensements de logement et proposant des solutions élaborées collectivement, garantissent l’accès à un logement digne, qu’ils soient construits par le biais de la Grande Mission Logement ou en auto-construction avec la collaboration des Comités de Terre Urbaine ou du « Movimiento de Pobladores » qui se chargent de chercher les terrains ou les immeubles abandonnés afin de les destiner au logement.

« Les occupants des refuges sont prioritaires mais il y a beaucoup plus de gens qui ont besoin de logements, et qui doivent s’organiser pour transférer aux institutions gouvernementales l’information exacte sur leurs besoins. La Mission Logement devrait travailler davantage avec les  conseils communaux, et qu’on le voie à la télévision, pour stimuler l’organisation citoyenne. La communauté qui ne s’organise pas n’obtiendra rien. C’est ainsi que va notre processus: essais, erreurs, essais, tout le temps« …

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Réunion du « Movimiento de pobladores » avec le président Chavez pour proposer des lois en faveur du logement public. L’objectif de ce mouvement social est de lutter contre la spéculation immobilière, pour la démocratisationde la propriété et la sécurité juridique en faveur des secteurs populaires. Il est formé par diverses organisations de base telles que le campement de pionniers (familles sans logement), Concierges Unis pour le Venezuela, Comité de Locataires, Comités de Terre Urbaine, Front de Locataires et Occupants, provenant de tout le pays.

T.D.

Avec Mariel Carrillo, AVN http://www.avn.info.ve/contenido/vivienda-y-revoluci%C3%B3n-logro-vivo-del-pueblo-venezolano et http://www.ciudadccs.info/?p=363025

Notes:

(1) Résultats définitifs disponibles sur le site du Centre National Électoral vénézuélien: http://www.cne.gob.ve/resultado_regional_2012/r/1/reg_000000.html

(2) Jesse Chacón, “2012 y la intensidad de la trama política nacional”http://www.gisxxi.org/articulos/2012-y-la-intensidad-de-la-trama-politica-nacional-venezolana-jesse-chacon-gisxxi/#.UM51LuQmbld

(3) Infos chiffrées sur la Grande Mission Logement:  http://www.mvh.gob.ve/index.php?option=com_content&view=category&id=45&layout=blog&Itemid=81

(4) La chanson engagée en Amérique du Sud (années 1960 et 1970) : définition, origine et caractéristiques, par Ana Luisa Polania-Denis, Doctorante, Université de Paris 10, thèse présentée en 2010.

 

Source :  venezuelainfos.wordpress