Malaga- Auteur : Mariano Quiroga Date : 28 octobre 2012 In : Droits de l’Homme, Économie, Europe, Opinions Ben Heine

José Miguel Domingo vivait à Grenade et avait 53 ans lorsqu’il s’est suicidé cette semaine, criblé de dettes, découragé devant son impuissance à agir et dégoûté d’être dépersonnifié par les complicités politiques de son bourreau, le secteur bancaire.

Parfois, lorsque l’on parle de dictature financière, on ne se rend pas compte qu’il ne s’agit ni d’une métaphore ni d’un euphémisme. Le système économique et culturel qui nous est imposé tue. L’Europe est un territoire où les droits de l’homme ont été vidés de toute substance.

Au nom des Droits de l’Homme, on largue des bombes et l’on assassine ; on torture de manière préventive et l’on incrimine toute forme de dissidence contre le pouvoir politique en place.

Il est insultant de voir qu’au milieu de cette mascarade générale, certains tentent de laver les mains maculées de sang de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du marché commun européen en leur octroyant le très symbolique prix Nobel de la paix.

Dans un monde où l’on en vient à concéder des droits à des multinationales et à des entreprises comme s’il s’agissait de personnes, et où se poursuivent les mutilations et les massacres d’êtres humains comme s’il s’agissait de marchandises, la paix est devenue une farce de la sorte.

Mais les coups de massue pacifiques des gardiens de la paix cognant sur les manifestants sur tout le territoire espagnol, les expulsions pacifiques, les coupes budgétaires pacifiques et le nœud pacifique dans le cou des suicidés de ce système ne peuvent pas nous laisser indifférents. Nous ne pouvons pas continuer à détourner le regard alors qu’un petit chef d’entreprise ruiné s’asperge d’essence ou qu’une mère, en proie au désespoir, congèle son nouveau-né.

Ceux qui regardent les choses en face

Dans le centre de Malaga, ceux qui se sont fait connaître sous le nom de « victimes du terrorisme financier » se sont réunis pour rendre hommage à l’un de ses premiers martyrs, José Miguel Domingo, et pour dénoncer les génocides orchestrés par les banques et leurs acolytes, le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique.

Dans quelques agences bancaires, des bougies ont été allumées en mémoire du suicidé, et des diatribes contre l’indifférence et la passivité qui mènent certaines personnes dans de telles situations sans issue se sont faites entendre.

Lors d’une récente interview [article en espagnol, NdT], Ángel Martín, un des activistes participant à ces assemblées malacitaines, a déclaré sans ambages : « La conception de l’individualisme selon laquelle nous n’avons pas besoin de l’autre parce que nous avons de l’argent va disparaître, nous ne pouvons plus continuer à aller chacun dans notre côté ». Et au vu de la description qu’il fait de la situation actuelle, ses paroles font office de prémonition : « Il est grand temps que les gens commencent à remettre en question le système de valeurs du monde dans lequel nous vivons. Nous vivons dans une dictature de l’argent érigé en valeur suprême, dans le mythe de l’argent, de l’individualisme, du « occupe-toi de tes affaires que je m’occupe des miennes », de la compétitivité et des coups de coude sur les côtés pour pouvoir s’élever dans la société. C’est sur ces principes que repose ce système inhumain, et il est essentiel que nous le remettions en cause; dans le cas contraire, des phénomènes de vide existentiel et de non-sens vont se produire et vont se matérialiser sous la forme d’un « je me jette du balcon parce que, s’il faut vivre de la sorte, autant se jeter du balcon ». Et ce n’est pas à cause de la faim, mais à cause de ce que l’on appelle la conscience écœurée. »

C’est donc dans cet état d’écœurement plus ou moins grand que se trouvent les plus de 5 millions de chômeurs espagnols, les plus de 500 000 foyers qui n’ont aucun revenu d’aucune sorte, les 30 millions de personnes qui n’ont pas voté pour Rajoy mais qui sont pourtant les otages de ses plans d’ajustement et des plans de sauvetage qu’il accorde à ses petits amis du secteur bancaire.

Mais le dégoût fait tache d’huile, tout comme l’indignation, la colère et la pauvreté, sur tout le territoire européen, du nord au sud. Ce dégoût est susceptible d’être le détonateur d’une solution nihiliste, dupliquant, triplant ou quadruplant les taux de suicide dans les pays les plus touchés par les pressions de la Troïka; il est également susceptible d’être un point d’inflexion à partir duquel accepter l’échec social et systémique de cette échelle de valeurs et comprendre qu’il est possible d’arrêter d’être l’esclave de ce circuit consumériste, matérialiste et aliénant répugnant.

 

Traduit de l’espagnol par : Pauline Aschard