Par Michelle Salaméro

Tout au long de ma route je cueille des voix, des témoignages, où vous racontez comment chacun voit le monde, comment il le vit, comment il le veut. Et aujourd’hui, la voix, c’est celle de Fouad, il a 25 ans, il est arrivé en France à 11 ans ; avant, il a vécu en Algérie. Il est sur Marseille depuis 1998, et si les histoires commencent souvent par « il était une fois », avec Fouad, ça commence toujours par : depuis que je suis petit …

« …depuis que je suis petit, je me pose beaucoup de questions, j’essaye de comprendre un peu le sens de qui on est, de ce qu’est l’être humain, de son rôle sur terre, de sa mission plus ou moins.

 

Ces dernières années, j’ai travaillé un peu à droite à gauche dans le bâtiment, fast-food, animations avec les petits, dans des stations de ski, et à force, ben justement, j’essaye de me recentrer en essayant d’être mon propre patron, plus ou moins, entre guillemets, parce que justement tous les travails que j’ai eu jusqu’à présente m’ont plus ou moins déplu dans le sens de l’organisation, ou les valeurs humaines qui étaient engendrées ou qui étaient demandées. Et en gros, là, actuellement, je fais un site qui me permet de rependre tous mes questionnements, mes cheminements depuis que je suis petit pour essayer de les exposer. Vagabondesprit.com.

 

En gros, quand j’étais petit, je me suis rendu compte qu’au final l’adulte, les parents, l’entourage, la famille, les amis, ils ne se posaient pas beaucoup de questions ou … c’est pas pour être négatif mais un adulte en général, il a ses idées fixes, et il aime pas trop varier. C’est un peu la facilité, quoi. Et étant petit, justement, j’avais remarqué ça, du coup, je me suis cultivé dans ce sens-là, mais dans mon coin, et maintenant justement avec mon site, c’est ce que j’essaye de faire, c’est de remettre tous ces trucs à jour, de les ressortir, et d’essayer de les partager. Partager, voilà ce qui est important dans la vie.

 

Quand j’étais petit, justement, j’ai eu une éducation, on va dire, vu que je suis né en Algérie, axée sur l’Islam. Ça m’a bloqué dans un sens où comme en France on dit aux petits si tu crois pas en Jésus, c’est qu’il est fils de Dieu, tu finiras en enfer, en Algérie c’était … c’est un peu dur ce que je dis mais c’était la réalité qu’on a … c’est la réalité qu’on vit … les musulmans, ils disent la même chose : si tu crois pas en l’Islam, si tu adopte pas ses valeurs, tu es dans le faux, tu finiras en enfer. Et justement quand j’étais petit, je me disais : si j’étais né à l’autre bout du monde, dans une jungle, sans livre, sans écriture, sans connaitre l’arabe ni l’Islam, est-ce que Dieu est si mauvais que ça, ou si maladroit que ça, pour nous envoyer d’office dans … et c’est pour ça que en gros, je cherche les réponses un peu de partout. Je suis polyvalent ou, pour prendre un terme un peu plus scientifique, interdisciplinaire. Je m’intéresse à toutes les religions, toutes les sciences, toutes les traditions, y a pas de limite.

 

J’ai arrêté mes études au Lycée, en 1ère, parce que j’avais pas toutes les réponses que je voulais. Chaque fois que je demandais aux profs, je posais des questions plus ou moins pertinentes ou un peu dérangeantes, au final, j’avais souvent des réponses « faut faire tel cursus scolaire après le bac ». Où y avait même des profs au final qui prenait mes questionnements comme une agression.

 

L’essence de l’être humain … si j’étais un enfant, et je le suis plus ou moins, un grand enfant, je dirais que le rôle, ou la nature de l’homme sur terre, ce serait un espèce de gardien de la vie, de la nature, un truc du genre.

 

Quand j’étais petit, je me disais qu’une seule chose : vivement que je finisse mes études, que j’arrête d’apprendre et une fois que j’ai arrêté mes études mes cours, justement, c’est là où j’ai commencé à en apprendre encore plus et d’avantage et je me disais que justement la réflexion que j’avais étant petit en me disant « vivement que je finisse mes études pour arrêter d’apprendre », j’ai trouvé ça un petit peu bête de ma part. Y a une citation qui me revient, de Foch, qui disait « Ya pas d’hommes cultivés. Y a que des hommes qui se cultivent ». Je la trouve pas mal. Ca résume bien le rôle ou la mission ou l’apprentissage de l’être humain durant toute sa vie, voire même durant toutes ses réincarnations.

 

Quand je suis arrivé en France, à mes 11 ans, j’étais vachement encré dans les valeurs de la religion, dans les croyances, et on arrivant en France, justement, j’ai eu une espèce de choc des civilisations, des croyances dans ma tête parce que y avait quelqu’un dans ma classe, le cancre, qu’on retrouve dans toutes les classes, qui emmerde, enfin, qui embête tout le monde, et moi il m’embêtait mais je réagissais pas vraiment. Il me faisait pas vraiment mal, du coup je laissais faire. C’est comme les enfants, on les laisse faire et au bout d’un moment, ils se fatiguent tous seuls, ils s’arrêtent tous seuls. Mais ce qui m’avait choqué, ou frappé plutôt, c’est que au bout de quelques mois, toute la classe était plus dérangée par ce jeune homme qui m’embêtait que moi j’étais dérangé par celui-là. Et une fois, on est sorti de classe, il me saute dessus, et là y a toute la classe qui s’est mise autour de moi, en me questionnant à l’unisson en me disant « mais pourquoi tu te laisses faire ? ». Et j’ai répondu justement que de toutes façons, nature peinture il finira en enfer. Et là, y a tout le monde qui s’est mis à rire et c’est là justement, par rapport aux religions, où je voulais en venir, que j’ai commencé on va dire à dériver vers l’athéisme. Vers mes 14/15 ans, je me disais totalement athée, je croyais pas en Dieu parce qu’il était pas là, le monde dans lequel je vivais me paraissait totalement incohérent pour que Dieu ait sa place ou ait un rôle à jouer dans cette société. Et du coup, je me suis penché sur le côté scientifique. Et c’est en me penchant sur le côté scientifique, sur tous les domaines scientifiques que j’ai croisé, que je suis revenu petit à petit sur les religions. Ce que j’ai découvert avec les sciences, m’a plus ou moins interpellé on va dire sur les avertissements qu’on peut trouver dans les religions, les messages qui nous disent « attention, ça va devenir comme ça, si on fait pas attention on va partir dans telle ou telle dérive », c’est ce que j’ai trouvé dans les sciences et ce qui m’a ramené petit à petit dans les religions. C’était une espèce de complémentarité.

 

Pour reprendre un peu les religions asiatiques et le symbole dualiste du Ying et du Yang, on va dire que les religions représentent le Ying, et la science représente le Yang. C’est dans ce sens-là où au final, quand j’étais petit, on va dire que j’étais plus Ying, du côté religieux, et durant l’adolescence, je me suis baladé du côté Yang de la science, et petit à petit je me suis aperçu que j’avais deux pièces sur ma conscience ou dans ma tête, qui s’emboitaient parfaitement. Toutes les connaissances que ça soit sciences, religions, traditions, ou n’importe quoi, j’appelle ça de la conscience. Cette conscience-là, pour moi, elle est comme un puzzle. Et chaque domaine, chaque religion, chaque science, est une pièce de ce puzzle et pour avancer, il faut amasser les pièces, les différentes pièces et essayer de les assembler petit à petit. Essayer de trouver les cohérences entre les différentes pièces et avancer avec tout en partageant. Mais là est la difficulté, justement … à la fin de mon adolescence je me suis amusé à essayer de partager ce que j’avais découvert à mon petit niveau et je me suis rendu compte qu’au final, sans être négatif ou essayer de les juger, les gens sont vachement dans la facilité. C’est ce qui m’a gêné déjà dans l’enfance avec les religions, comme avec l’Islam par exemple, au final. Pour reprendre l’image du puzzle, on m’a apporté une pièce qu’on nomme Islam et on m’a dit « voilà, ça, c’est la vérité » et même quand je parle à des scientifiques, c’est pareil. Pour eux, les religions ça ne vaut rien. Pour un chrétien, les autres religions ça ne vaut rien. C’est là où j’ai trouvé toute ma difficulté dans le partage dans le sens où, au final, chacun se contente de sa propre pièce de conscience et ne cherche pas à partager, à se complémenter avec les autres. On préfère plutôt se complimenter.

 

Comment je vois le monde … pour prendre un terme fort, je le trouve vachement aliéné. Il est vachement conditionné, chacun se contente de ses croyances, de ses connaissances et ne cherche pas plus loin que le bout de son nez, ou le bout de sa conscience. Pour moi, le monde devrait se conscientiser, se cultiver, d’instant en instant mais le monde, il est tout le contraire justement. Le monde essaye de se fixer, de se définir, de s’ériger en structure non malléable, quoi. Compliqué, compliqué à expliquer. Le système dans lequel on vit il est définit plus par ce que l’homme en fait, que le système en lui-même quoi. Le système est égal à la volonté qu’on se donne pour créer ce système justement. Si on délaisse le système, si on s’occupe, si on vaque à nos occupations individuelles, personnelles, à nos divertissements, qu’on laisse le système dans son coin, se faire avec, on va dire, avec une élite. C’est ce que je reproche le plus justement, à notre système actuel, c’est qu’il est fait plus par une minorité, une élite d’humains que par l’humanité vraiment quoi. Sinon, si toute l’humanité s’y mettait, j’aurais rien à reprocher au système, à la société dans laquelle on vit.

 

Ce qui me donne de l’espoir dans ce monde-là c’est les gens que je rencontre qui sont ouverts d’esprit, qui sont dans la complémentarité, qui ne se prennent pas trop la tête, et qui partagent surtout. Et qui sont ouverts au partage. Et, au final aussi, malgré que notre société soit plus ou moins aliénée, trop conditionnée on va dire, je trouve qu’on vit dans une époque plus ou moins merveilleuse dans le sens au final où, aujourd’hui, moi par exemple dans mes recherches, dans ma quête, j’ai plus facilement accès à pas mal de connaissances, de croyances. Avant, y a 40 ans, nos parents, les anciennes générations, pour connaitre par exemple des religions d’autres continents soit asiatiques, soit d’Amérique, ils avaient pas Internet, ils avaient rien … pour connaitre les religions asiatiques, il fallait voyager en Asie. Aujourd’hui, on peut quasiment tout faire à partir de chez soi, avec un ordinateur. Y a des gens justement qui partagent, tout en étant à l’autre bout du monde, ils partagent leurs croyances, leurs religions, leurs sciences, avec les gens du monde entier. C’est le point positif que j’apprécie énormément.

 

Le capitalisme d’une certaine manière, il empêche aussi les relations directes avec les autres hommes, les autres peuples, mais tout ça en dépend que de nous. Personne m’empêche par exemple de faire mes propres recherches sur Internet et ensuite si ça m’intéresse ou s’il y a des trucs qui m’enchantent, à moi de rencontrer les gens, à moi de voyager, à moi de chercher les bonnes personnes pour ce niveau. En général, elles viennent toutes seules.

 

Ce qui m’inspire dans la vie, la conscience, mais ça reste vague comme terme. Ce qui m’inspire … l’harmonie … pour moi la conscience, la vérité, tout ça rime avec plus ou moins une espèce d’harmonie. Dans mon enfance et dans les idées reçues générales, en général on dit que tout est question de bien ou de mal. Moi depuis 2/3 ans, j’ai plus ou moins remodelé cette chose, cette valeur, en me disant qu’au final, tout n’est pas question de bien ou de mal mais d’harmonie ou de désharmonie plutôt dans le sens « chaos ». Et ce qui m’inspire justement ça serait plutôt, plus ou moins l’harmonie, le partage, essayer de … d’assaisonner toutes ces différences. Quelqu’un d’harmonieux, il va pas compter en unités de bien ou de mal, au contraire, à la limite, ça existe pas, ou les deux valeurs de bien et de mal se marient d’une certaine manière, pour s’harmoniser justement, pour faire, au final, on prend les deux, on prend le bien, on prend le mal, on essaye d’harmoniser le tout que chacun s’y retrouve.

 

Quelqu’un d’harmonieux, il a vraiment un cœur ouvert et quelqu’un qui a un cœur ouvert c’est quelqu’un qui réfléchit pas avec son mental. Quelqu’un qui a un cœur ouvert c’est quelqu’un raisonne avec le cœur et qui laisse les préjugés sur le côté, c’est … Quelqu’un qui a un cœur ouvert il a plus ou moins l’esprit ouvert. Il a pas de définition, de structure rigide, c’est quelqu’un qui est ouvert à tout. Il ne se limite pas justement par exemple à son éducation qu’on lui a inculquée. Pour lui, tout est complémentaire, plus ou moins. Y a pas de frontière, que ce soit dans son peuple, dans sa famille. C’est quelqu’un qui ne se prétend pas vraiment supérieur aux autres, qui se voit comme tout le monde. C’est l’égal de tous.

 

Comment de venir un cœur ouvert ? Déjà en partageant, partager avec les autres, chercher à comprendre le monde, en méditant. A force de rechercher un partout à droite à gauche, dans les religions, dans les sciences, j’ai essayé de me mettre à la méditation en prenant les méthodes on va dire, de méditation, diverses et variées que ce soit dans le bouddhisme ou d’autres croyances et traditions. La méditation je la résume en gros, en un mot, pour moi, c’est se conscientiser. Justement, quelqu’un qui cherche à s’ouvrir du cœur, à être ouvert du cœur. Pour moi la seule voie, enfin la seule, y en a plusieurs, mais l’orientation générale, c’est de se conscientiser. Quelqu’un qui est ouvert c’est quelqu’un qui se connait lui-même et qui connait les autres ou du moins qui cherche à connaitre les autres en les comprenant, pas en les contrôlant, en essayant de s’accaparer leurs croyances ou les diriger.

 

Ma mère me disait que j’étais anormalement calme quand j’étais petit. Depuis que je suis tout petit justement, j’ai ce sentiment cette impression ou cette intuition que le monde a une logique déraisonnée d’une certaine manière et du coup j’ai toujours eu cette volonté d’essayer de comprendre les choses par forcément dans la vérité on va dire mais déjà rien qu’au départ, le pourquoi du comment le monde il est ainsi, pourquoi le monde est déraisonné, pourquoi personne ne se pose trop de question. Par exemple, les questions existentielles. La vie, c’est exister d’une certaine manière mais y a que les enfants qui se posent vraiment les vraies questions existentielles, et qui cherchent des réponses à ces question. Quand je m’amusais quand j’étais petit à poser ces questions à des adultes, au final, souvent j’avais des questions fermées ou des « laisse-moi tranquille, tu me prends la tête » alors qu’on est là pour exister justement. Si on connait pas l’existence, on peut pas vraiment avancer, on peut pas comprendre les choses. Et c’est là où on est bloqué du cœur.

 

L’expérience que j’ai de cette existentialité, elle est pas finie… Moi, toute cette existence, tout mon cheminement, ma quête, on va dire que c’est ma motivation. A la limite, je ne vis que pour ça quasiment. A force de questionner mon entourage ou d’essayer de partager ma petite conscience ou mon opinion avec mon entourage, souvent j’ai des réflexions qui me disent que je me prends trop la tête, ou des fois on me dit « ouais, tu te prends pour un prophète » … c’est exagéré, mais j’ai souvent eu ces réponses-là, alors que je ne fais que me questionner et j’aspire qu’à avoir des réponses. J’ai pas la vérité mais j’aspire à la vérité. C’est ce qui m’anime.

 

Einstein il disait aux gens qui disaient de lui qu’il était trop intelligent, il leur répondait qu’il n’était pas plus intelligent c’était juste qu’il passait plus de temps avec les problèmes. Voilà mon existentialité. Toute mon existence c’est de passer par-dessus ou sur les problèmes pour essayer de les comprendre, de les appréhender de la meilleure façon possible, sous tous les angles aussi. C’est ça le problème. C’est que le problème de notre société, de notre existentialité, c’est que on a tendance à prendre un problème, n’importe quoi, une croyance, une connaissance, on l’appréhende que sous un certain angle. Alors que l’existentialité justement, je l’appréhende sous tous les angles possibles, que ce soit à droite, à gauche, en haut, en bas, de travers …

 

Ce que je pense de la mort ? ben, à la base, je crois en la réincarnation, du coup, pour moi, la mort, c’est juste un passage on va dire, c’est la fin d’un cycle pour le commencement d’un autre cycle. Je pourrais même dire que la mort et la vie, d’une certaine manière, ça se confond. Si l’existence qu’on a sur terre on appelle ça « vie », alors que personne ne sait vraiment ce qui se passe après la vie. Mais peut-être qu’après la mort justement, il y a une espèce de vie, hors du corps, une vie avec par exemple, l’âme ou l’esprit. Et que peut-être que la vie se définit en tant que corps physique. Vivre dans la vie, c’est vivre en tant que corps. Alors que la mort peut se définir … j’en sais rien, c’est une supposition … La mort, c’est peut-être une espèce de vie de l’esprit, de l’âme, c’est une espèce de continuité. C’est ce que j’appelle la mort. Vu que je disais qu’à la base je crois à la réincarnation, c’est à force de me questionner justement, depuis l’enfance, et de voir toute cette volonté ou cette flamme on va dire qui m’anime à l’intérieur pour essayer de comprendre le pourquoi du comment des fois, que justement, par rapport à la mort, je me dis que toute cette volonté-là, peut-être, j’en sais rien, je l’ai accumulée dans mes vies antérieures. Et du coup, voilà, la mort c’est … c’est la vie, c’est un passage, c’est des cycles.

 

Ce qui donne le sens à la vie, je pourrais dire que c’est juste la conscience, le fait de se conscientiser, pour moi c’est un point primordial, ou important on va dire, essentiel à la vie. Et ce qui donne le sens à la vie, c’est de vivre, de partager, d’essayer de comprendre les choses, et … c’est de partager. Vivre, c’est partager. Mourir, ne pas vivre, c’est justement … je vais prendre la question à l’envers. Ce qui ne donne pas du sens à la vie, c’est l’étroitesse d’esprit, c’est quelqu’un qui est figé, c’est quelqu’un qui se met dans sa bulle, et qui n’échange pas avec son environnement, son entourage. Et pour donner du sens à la vie justement il faut connaitre l’autre, se connaitre soi-même, il faut partager quoi … Je vois pas quoi dire de plus que partager ».

 

Propos recueillis par Michelle Salaméro

Musiques de Florent delaunay