Le mois dernier, des conflits d’intérêts ont empêché la signature d’un traité dont la communauté internationale a pourtant grand besoin pour réduire le terrible coût humain du manque de réglementation du commerce international des armes. Pendant ce temps, le désarmement nucléaire reste au point mort, alors même que l’opinion publique mondiale l’appelle de ses vœux.

L’échec des négociations et la commémoration au mois d’août des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki sont l’occasion d’examiner ce qui ne va pas, pourquoi les objectifs éminemment importants que sont le désarmement et le contrôle des armes s’avèrent si difficiles à atteindre et ce que la communauté internationale peut faire pour y parvenir.

Dans les milieux liés à la défense, on s’accorde désormais largement à reconnaître que la sécurité suppose bien plus que la protection des frontières. L’évolution démographique, la pauvreté chronique, les inégalités économiques, la dégradation de l’environnement, les maladies pandémiques, la criminalité organisée et la gouvernance répressive, par exemple, peuvent poser de graves problèmes de sécurité auxquels un État ne saurait remédier seul. Contre de telles menaces, les armes ne peuvent rien.

Il existe pourtant un décalage troublant entre la reconnaissance de la gravité de ces nouvelles menaces et les mesures prises pour y faire face. Les budgets des pays reflètent toujours les mêmes vieilles priorités. L’ampleur des ressources consacrées à la défense et l’ouverture de nouveaux crédits destinés à la modernisation des armes nucléaires ont créé un monde surarmé dans lequel la paix est sous-financée.

L’année dernière, le montant des dépenses militaires mondiales aurait dépassé les 1 700 milliards de dollars, soit plus de 4,6 milliards par jour, ce qui représente près de deux fois le budget annuel de l’Organisation des Nations Unies. Il faudra encore des milliards et des milliards de dollars pour moderniser les arsenaux nucléaires pendant les prochaines décennies.

Un tel niveau de dépenses militaires est difficile à justifier dans un monde d’après guerre froide et en pleine crise financière. Les économistes pourraient y voir un sacrifice financier; j’estime qu’il s’agit d’un sacrifice humain. Les crédits consacrés aux armes nucléaires sont les premiers dans lesquels il y a lieu d’opérer des coupes sombres.

En effet, les armes nucléaires ne sont d’aucune utilité face aux menaces actuelles contre la paix et la sécurité internationales. Leur existence même est un facteur de déstabilisation, car dire qu’elles sont indispensables, c’est pousser à leur prolifération, sans parler des risques d’accident et des effets néfastes sur la santé et l’environnement de la mise au point et de la maintenance de ces armes.

L’heure est donc venue de réaffirmer les engagements pris en faveur du désarmement nucléaire et de faire en sorte que cet objectif commun entre en ligne de compte dans les plans et budgets des pays et au sein des institutions nationales.

Il y a quatre ans, je proposais un plan en cinq points dans lequel je soulignais la nécessité de créer une convention ou d’autres instruments pour atteindre l’objectif du désarmement nucléaire.

La situation en matière de désarmement reste néanmoins au point mort. De toute évidence, il faut pour remédier au problème que les États harmonisent davantage les initiatives qu’ils prennent en vue de la réalisation de leurs objectifs communs. On pourrait sortir de l’impasse si tous les États et la société civile entreprenaient ensemble certaines actions :

  • Soutenir les efforts que mènent la Fédération de Russie et les États-Unis pour convenir de réductions sensibles et vérifiables de leurs arsenaux nucléaires qu’ils soient ou non déployés;
  • Faire en sorte que les autres détenteurs d’armes nucléaires s’engagent à participer au processus de désarmement;
  • Déclarer un moratoire sur la mise au point et la production des armes nucléaires et de leurs vecteurs;
  • Négocier un traité multilatéral interdisant la production de matières fissiles aux fins de la fabrication d’armes nucléaires;
  • Mettre un terme aux essais nucléaires et faire appliquer le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires;
  • Cesser de déployer des armes nucléaires en territoire étranger et retirer toutes celles qui s’y trouveraient déjà;
  • Veiller à ce que les États détenteurs d’armes nucléaires communiquent des informations sur la taille de leur arsenal, les matières fissiles, les vecteurs et les progrès réalisés sur la voie du désarmement aux fins de l’établissement d’un registre des Nations Unies ouvert au public;
  • Créer au Moyen-Orient une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive;
  • Obtenir l’adhésion universelle aux traités interdisant les armes chimiques et biologiques;

Prendre, en parallèle, des mesures de contrôle des armes classiques (signature d’un traité sur le commerce des armes, contrôle renforcé du trafic d’armes légères et de petit calibre, adhésion universelle aux conventions sur les mines antipersonnel, les armes à sous-munitions et les armes inhumaines et communication des éléments d’information nécessaires aux fins de l’établissement du Rapport des Nations Unies sur les dépenses militaires et du Registre des armes classiques);

Déployer des efforts sur les plans diplomatique et militaire en vue de garantir la paix et la sécurité internationales dans un monde exempt d’armes nucléaires et, notamment, prendre de nouvelles initiatives pour régler les conflits régionaux.

Avant toute chose, il nous faut satisfaire aux besoins fondamentaux de l’être humaine et atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. La pauvreté chronique compromet la sécurité. Je propose donc de réduire radicalement les dépenses consacrées aux armes nucléaires et d’investir à la place dans le développement économique et social, qui sert les intérêts de tous dans la mesure où il élargit les marchés, limite les risques de conflits armés et donne à chacun voix au chapitre dans l’avenir de la planète. Tout comme la non-prolifération et le désarmement nucléaires, ce sont des mesures indispensables pour garantir la sécurité de l’humanité et léguer un monde pacifique aux générations futures.

La paix passe par le développement. La sécurité, par le désarmement. Mais lorsque la réalisation de ces deux objectifs progresse, c’est le monde entier qui s’améliore et offre davantage de sécurité et de prospérité pour tous. C’est là un résultat auquel tout un chacun aspire et qui mérite d’être poursuivi par tous les pays.