Pressenza Le Caire, 6/24/12 Les normes du jeu diplomatique sont modifiées tous les jours. Hier ils dissolvaient le Parlement, aujourd’hui ils retardent les résultats des élections. Peut-être savent-ils déjà que leur candidat, général du gouvernement de Moubarak, ne gagnera pas même s’il s’est lui aussi désigné vainqueur. De plus, la santé de plus en plus critique de l’ex dictateur détenu a donné libre cours à tout type de rumeurs, mensonges et exagérations, où les militaires continuent à gouverner avec davantage de pouvoirs que sous Moubarak. 

Ainsi le lieu de rendez-vous naturellement désigné est Tahrir avec ces marées humaines qui veulent être entendues.
Les milliers de manifestants qui ont envahi de nouveau la place Tahrir au Caire protestent contre le pouvoir de plus en plus important de la junte militaire alors que la population égyptienne reste dans l’incertitude quant aux résultats des élections présidentielles. En plus du retard des résultats, les deux partis s’auto-proclament vainqueurs. Les résultats devraient être annoncés dans un contexte d’accusations mutuelles de fraude.

D’un autre côté, les islamistes d’Egypte rejettent une guerre civile comme celle d’Algérie et l’ex-président du Parlement dissout, Sr. Saad Katatni, affirme que la bataille se fera dans les institutions.
Si les généraux d’Egypte ont implanté leurs propres normes politiques qui pourraient les maintenir au pouvoir pendant des années, d’après l’observation mercredi dernier de Saad Katatni, l’un des plus grands opposants islamistes, les Frères Musulmans déclarent d’ores et déjà qu’ils ne se battront pas comme en Algérie où la confrontation a dérivé en une guerre civile sanglante.
Katatni, président du fugace Parlement démocratique dissout la semaine dernière par la junte militaire au pouvoir, a déclaré à Reuters que ceux qui s’opposent à ce que les militaires gouvernent l’Egypte n’ont pas d’armes, ils disposent seulement d’instruments « légaux et populaires ».
Et il affirme également : « le peuple égyptien est différent et non armé ». Katatni, docteur en microbiologie de 61 ans, s’est exprimé de la sorte lors de sa première interview depuis la dissolution du Législatif dominé par les islamistes, dissolution intervenue après qu’un tribunal prononce l’inconstitutionnalité du processus d’élection. Beaucoup ne sortiront pas de ce trouble total face à de telles mesures. De plus, il n’est pas question de convoquer de nouvelles élections législatives, comme il se devrait.

Il ajoute : « Nous sommes en train de mener une bataille légale à travers les institutions et une bataille populaire dans la rue ». Il achève ainsi : « C’est la limite. Je vois que la lutte continuera par ces voies ». Le leader islamiste a réclamé à l’Armée la reconnaissance de la démocratie tout en proposant également des paroles conciliantes : « Tout le monde doit se soumettre à la volonté populaire » insiste Katani, qui fut élu par ses collègues députés à la présidence du premier Parlement élu librement depuis des décennies. Il entend donc que les généraux, soucieux face à la perspective du changement, veuillent s’assurer que la réputation des forces armées ne soit pas entachée gravement dans un Etat dirigé par des civils.

D’un autre côté, depuis la chute de Moubarak, les derniers revirements dans la transition désorganisée égyptienne, enfoncent le pays dans une très grande instabilité politique précisément au moment où les Egyptiens attendent les résultats de l’élection d’un nouveau président, qui marquerait le début d’une nouvelle ère. En revanche, les généraux et les Frères Musulmans semblent être en totale opposition à une lutte de pouvoir qui pourrait connaître des issues encore plus dramatiques. De toute façon, les probabilités que la violence n’éclate paraissent pour le moment minimes. Quand bien même la pression monte. Face à cela les militaires soulignent qu’ils ne tolèreront pas de violence dans la rue…

Les islamistes vétérans soutiennent depuis longtemps que la propre expérience de l’Egypte avec les militaires dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix – violence menée par des groupes salafistes durs, et non par les Frères Musulmans – a sapé l’idée que l’on peut réussir beaucoup de choses par la violence.

Il faut se souvenir qu’il y a des années que les Frères Musulmans ont abandonné la violence pour parvenir à leurs objectifs même si des scissions du mouvement créé en Egypte en 1928 perpétuent toujours des attaques violentes, tout particulièrement les palestiniens du Hamas contre Israël et les frères de Syrie, qui font partie de l’opposition locale ayant pris les armes au cours de l’année passée. 

Le décret approuvé dimanche, qui restaure le pouvoir Législatif à l’armée, implante de plus de nouvelles normes pour la rédaction d’une nouvelle Constitution restreignant les pouvoirs de la présidence. 

« Il montre le désir de la junte militaire de rester au pouvoir et de ne pas le céder. Indirectement, ils ne le transfèreront pas le 30 juin, ils le garderont et cette fois de manière indéfinie », indique Katatni en référence à la date que les généraux s’étaient fixée pour laisser le pouvoir aux mains des civils.

Katatni assure qu’il n’y aucun doute que Morsi, le candidat islamiste, a gagné les présidentielles fêtées samedi et dimanche, l’emportant ainsi sur l’ex-commandant de la force aérienne Ahmed Shafiq, dernier Premier Ministre de Moubarak.

Malgré les problèmes que rencontre l’Egypte, Katatni se montre optimiste pour son avenir. Il répète la gratitude souvent exprimée par les leaders des Frères Musulmans pour le rôle joué par les militaires depuis le renversement de Moubarak en février 2011.
« Nous ne voulons pas qu’ils aient à supporter plus qu’ils n’en ont la capacité : porter la responsabilité des pouvoirs exécutifs et législatifs. Ils ont joué un grand rôle dans la protection de la révolution et la gestion de la transition », dit Katatni.
Mais il ajoute «  Retournez à vos casernes, à votre mission d’origine. Il y a des institutions élues pour diriger l’Etat. » 

Pendant ce temps, le peuple attend des décisions en sa faveur, rassemblé sur la Place Tahrir.

Traduction de l’espagnol : Frédérique Drouet