D’initiative gouvernementale, ce texte, transmis au Parlement le 1er octobre
2011, répond par la criminalisation de l’expression publique aux
manifestations étudiantes et protestations sociales qui agitent le pays
depuis le début de l’année [http://fr.rsf.org/chili-une-bulle-mediatique-ebranlee-par-17-08-2011,40798.html](http://fr.rsf.org/chili-une-bulle-mediatique-ebranlee-par-17-08-2011,40798.html).
Il contient également des dispositions catastrophiques pour l’exercice du
métier de journaliste en pareille circonstance.

Cosigné par le président de la République, Sebastián Piñera, le ministre de
l’Intérieur, Ricardo Hinzpeter et son collègue de la Justice, Teodoro
Ribera, le projet de législation se réfère explicitement aux actuels
événements en prétendant *“perfectionner et renforcer les normes qui
permettent une préservation effective de l’ordre public”*. Or, tout en
réaffirmant le droit de manifester pacifiquement, il crée la confusion dans
ses attendus entre les notions d‘*“altération de l’ordre public”*, de
*“violence”*, de *“paralysie”* et de *“désordre”*, toute manifestation générant
par nature des *“désordres”* et des *“paralysies”* qui ne procèdent ni ne
produisent nécessairement de *”violences”*.

Une telle confusion se lit dans la principale modification qu’introduit le
projet de loi en prévoyant une peine comprise entre 541 jours et trois ans
de prison ferme pour toute personne convaincue, notamment, de :

– *envahir, occuper ou saccager des habitations, des bureaux, des
établissements commerciaux, industriels, éducatifs, religieux, entre autres*
.

– *empêcher ou altérer la libre circulation des individus et véhicules sur
des ponts, rues, routes et autres biens d’usage public similaires*.

*“Difficile de ne pas voir dans la première disposition une allusion directe
aux occupations –pacifiques – par des étudiants, de la chaîne *Chilevisión*,
dont Sebastián Piñera était propriétaire avant d’entrer au palais de La
Moneda. Or, en l’absence de précision sur ce point, ces derniers sont-ils
tous passibles de trois ans de prison pour s’être assis dans un couloir ou
un studio de rédaction ? Sur la seconde disposition, on voit mal des
manifestants défiler ailleurs que dans une rue, sur une route ou sur un
pont. Ces clauses prêteraient à sourire si elles ne remettaient de fait en
cause le droit de manifester, autre pilier de la liberté d’expression”*, a
déclaré Reporters sans frontières.

L’organisation admet que les *“atteintes à l’autorité des forces de l’ordre”*
– frappées de la même peine – soient par principe punies, mais condamne
l’absence de sanctions consécutives aux brutalités commises par les
carabiniers contre les protestataires [http://fr.rsf.org/chili-les-abus-ou-violences-envers-les-15-09-2011,40991.html](http://fr.rsf.org/chili-les-abus-ou-violences-envers-les-15-09-2011,40991.html).
Ces brutalités ont également été constatées lors des récentes manifestations
des organisations de défense de l’environnement ou des communautés indigènes
Mapuches mobilisés contre le projet HydroAysén [http://fr.rsf.org/chili-le-tabou-environnemental-revele-17-05-2011,40289.html](http://fr.rsf.org/chili-le-tabou-environnemental-revele-17-05-2011,40289.html).

**Délation médiatique ?**

Un autre volet de la loi nous alarme : *“Le projet de loi propose
d’incorporer une nouvelle faculté pour les forces de l’ordre et de sécurité,
afin qu’elles puissent solliciter la transmission volontaire
d’enregistrements, films et autres supports électroniques qui peuvent servir
pour accréditer l’existence de délits ou la participation à ceux-ci, *sans
ordre préalable du procureur*.”* Ceci répond, poursuit le texte, *“aux
circonstances dans lesquelles se commettent des délits contre l’ordre public
et où est commune la présence de médias de masse qui facilitent l’existence
de moyens de preuve accréditant des faits répréhensibles”*.

*“Autrement dit, en violation des règles de contrôle judiciaire dans
l’appréciation des preuves d’un délit et au mépris de la protection des
données journalistiques, carabiniers et policiers pourraient à discrétion
solliciter et utiliser des contenus informatifs dans le but de traquer de
présumés délinquants ? Un journaliste n’est ni un auxiliaire ni un
indicateur de police, et cette clause constitue une prime à la délation. Ce
projet de loi doit être retiré”*, a conclu Reporters sans frontières.