Pressenza Agence de Presse Internationale Reykjavík, 9/2/11
En tant qu’humanistes ayant comme but commun une nation humaine universelle, les auteurs du rapport pensent que ce qui s’est passé et continue aujourd’hui en Islande n’est pas particulier à ce pays, mais bien le reflet d’une évolution dont souffre le monde entier, sous des expressions différentes liées à la culture et la position dans le royaume global du capitalisme et de la tyrannie financière.

Les événements

Durant les trois dernières décennies, l’Islande a été soumise aux mêmes politiques néolibérales que la plupart des autres pays occidentaux, plaçant l’argent et le pouvoir dans les mains des institutions financières et de leurs fidèles gardiens politiques qui ont ajusté l’élaboration des lois aux exigences de leurs maîtres. En 2002, les banques principales de l’Etat ont été privatisées et données / vendues à bas prix aux bons amis des partis politiques dominants, à cette époque Sjálfstæðisflokkurinn, le parti de l’Indépendance et Framsóknarflokkurinn, le parti progressiste.

En 6 ans, les nouveaux propriétaires ont augmenté la valeur des banques à douze fois celle du budget national islandais.

En octobre 2008 cette bulle éclate avec comme conséquence la faillite des banques principales islandaises, les trois seules qui avaient survécu au crash de Lehman Brothers à New York.

Le Gouvernement décide alors de garantir tous les dépôts dans les banques sans limite, une mesure positive pour les économies des gens âgés et ordinaires mais cette loi garantit aussi les dépôts des gens riches et très riches dont beaucoup sont responsables du crash. Bientôt le FMI doit venir à la rescousse.

Du coup, les gens commencent à se rassembler devant le Parlement, en tapant sur des casseroles, criant et faisant du bruit pour exiger la démission du gouvernement, que le directeur de la Banque Centrale (David Oddson, ancien premier ministre pendant plus de vingt ans et démissionnaire en 2005 pour prendre ce poste) soit licencié, que ceux qui ont souffert des conséquences du crash bancaire ne soient pas ceux qui paient les pots cassés, mais plutôt les banquiers et spéculateurs financiers responsables. Ils exigent aussi une nouvelle constitution qui remplace l’actuelle, écrite en son temps par le souverain danois.

Le 23 janvier, Geir Haarde et tout son gouvernement démissionnent. Le 25 avril, des élections générales ont lieu et une coalition avec l’Alliance Démocratique Sociale, le parti Indépendant et le Mouvement Vert de Gauche voient le jour. Le directeur de la Banque Centrale est licencié.

Le nouveau gouvernement continue à accepter les conseils du FMI qui n’a rien fait pour la population gravement touchée. La Grande-Bretagne et la Hollande exigent que l’Etat islandais garantisse des dépôts dans les succursales de Landsbankinn (une des banques principales) dans leurs pays. De gros bénéfices sur les dépôts avaient été promis, avant le crash. Le public islandais a été prié de payer des millions de kronas islandais pour les promesses creuses de cette banque privée lorsqu’elle est tombée en faillite. Les Islandais ont protesté et ont demandé que Président Olafur Ragnar Grimsson refuse cette requête. Un référendum a montré que 93% de la population refuse ces demandes. Le gouvernement a essayé de conclure un nouveau contrat avec les Anglais et les Hollandais mais le peuple a encore protesté ; un nouveau référendum a confirmé que les gens refusaient de payer pour les gaffes des banques.
Bien que des citoyens aient été invités à contribuer à la nouvelle Constitution qui a été remise au gouvernement, toutes les demandes de la soumettre à un référendum à ce sujet essentiel ont été jusqu’ici rejetées.

Les activités

La Révolution des Casseroles a rassemblé des milliers de gens au cours du premier mois après le crash bancaire, surtout devant le Parlement. Ce combat a toujours été non-violent mais lorsque quelques personnes ont jeté des pierres sur la police, d’autres parmi les manifestants ont constitué un mur humain pour protéger la police.

Une association a été formée pour défendre les intérêts des familles durement touchées ; 5000 membres ont adhéré, bien que le gouvernement ait plus ou moins rejeté leurs demandes. Des réunions ont eu lieu dans la plus grande salle de cinéma et autres lieux où ministres et hauts fonctionnaires du gouvernement, des syndicats et d’autres corps influents ont été invités à s’asseoir pour répondre aux questions du public. Ces réunions ont été diffusées par la télé nationale et ont eu beaucoup d’impact sur le public.

Des groupes se sont formés pour aider des gens qui risquaient de perdre leur maison, d’autres se sont regroupés autour des maisons de banquiers et d’hommes d’affaires pour demander qu’ils paient les dégâts qu’ils ont causés. Certains ont commencé à rechercher des modèles économiques et systèmes financiers alternatifs. Une organisation a été formée pour promouvoir la vraie démocratie, présentant des propositions de nombreux changements démocratiques radicaux au comité chargé de la nouvelle constitution, mais peu de ces changements y ont été inclus. S’est formée une organisation nommée « Siðbót » ou « Moralité » qui défend activement les droits de l’homme et les demandes des gens. A l’été 2009, s’est formée une organisation nommée « götunnar Alþingi » ou le « Parlement de la Rue ». Cette organisation non officielle comprenait les organisations les plus actives et groupes politiques à la racine de la révolution. Parmi eux, le parti humaniste. Cette organisation a tenu une réunion devant le Parlement chaque samedi de l’automne 2009 au printemps 2010, demandant des compensations pour les familles et individus qui ont souffert du crash et demandant de repousser les demandes des Anglais et les Hollandais de payer les gaffes des banques.

L’héritier politique de la Révolution des Casseroles

La révolution des gens a formé un Mouvement des Citoyens qui a présenté des candidats aux élections d’avril 2009. L’ordre du jour était de soutenir les demandes de la révolution. Bien que quatre candidats aient été élus, ils ont échoué dans la mise en œuvre de leurs engagements. C’est donc l’histoire triste de l’héritage politique de la Révolution des Casseroles. Une raison évidente de cet échec était que le Mouvement des Citoyens a été formé plus ou moins autour de questions spécifiques ou de demandes (sauvegarder les intérêts de ceux qui ont le plus souffert du crash) et n’avait pas de réel programme politique.

Participation du parti humaniste

Le slogan les « framtíð Mennska », « un avenir humain », est devenu très en vue dans la Révolution des Casseroles et était très sensiblement favorisé par les média puisqu’il était le seul avec une référence positive et le seul qui pointait vers l’avenir. Tous les autres dénonçaient plus ou moins le gouvernement ou demandaient des mesures spécifiques. Le parti humaniste, par la voix de son principal orateur dans la première réunion du Parlement de la Rue, a mis en évidence l’importance de gens qui commencent à se rencontrer et à communiquer partout au sujet d’une société différente, dans les écoles, les voisinages et sur les lieux de travail et au sujet de la révolution qui doit venir des gens et exister pour les gens. Des affiches, originaires d’Espagne, dénonçaient les institutions financières avec humour et ont inspiré beaucoup de jeunes gens.

Conclusion

Les gens ont montré une solidarité remarquable. Ils ont réussi à faire démissionner le gouvernement, à renvoyer le directeur principal de la Banque Centrale ; ils ont résisté aux institutions financières et ont refusé de payer les dettes de banques corrompues. Un parti politique a été fondé sur les principales demandes des gens à propos de la compensation de leurs pertes dues au crash économique. En revanche, la « Révolution des Casseroles » n’a pas encouragé de demandes radicales pour une nouvelle société ou un nouveau système économique. Le nouveau gouvernement est formé de partis traditionnels, n’a aucune intention de changer le système bancaire et suit docilement les directives du FMI pour restaurer l’ancien système et s’assurer que les contribuables porteront le fardeau.

Il y a un peu moins d’espoir et de force parmi les activistes, le sentiment que les choses glisseront dans le même ancien modèle. Néanmoins, quelques groupes continuent à travailler sur des thèmes constructifs tels qu’un nouveau système financier et préparent la fondation d’une banque démocratique. Le parti humaniste a des réunions ouvertes mensuelles sur l’humanisme et la démocratie en politique. « Est-ce que les intérêts sont un cancer économique ? », « Est-ce que la spéculation est un terrorisme économique ? » « Prenons le pouvoir aux banques ! » sont quelques thèmes abordés.

Et enfin…

Il est difficile de savoir si le crash et la « révolution » ont changé la façon de penser et de sentir. En surface, pas grand-chose ne semble s’être produit et les grands 4 partis traditionnels ont autant de voix qu’ils en avaient avant le crash. Le programme politique est resté le même et le gouvernement se félicite que le FMI ait terminé sa tâche ; que toutes les propositions de diminuer les coûts sociaux, de l’éducation et de la santé soient appliquées et qu’il a « restauré le système financier. » En revanche, dans les sondages d’opinion, 90% des gens n’ont aucune confiance dans les politiciens. Ce qui s’exprime, c’est un mécontentement commun assorti d’une répugnance incroyable à quitter l’ancien cadre et à s’ouvrir à de nouvelles alternatives.

La confiance générale dans le système a donc diminué de façon importante et beaucoup de gens se sont rendu compte plus intimement du besoin d’un vrai changement et d’une vraie démocratie.

Silvia Swinden – auteur de « Du singe à l’homo sapiens intentionnel : la phénoménologie de la révolution non violente »- Adonis & abbaye, Londres 2006.