Pressenza Cochabamba, 23/04/2010 Le président bolivien Evo Morales nomme Cochabamba le cœur de la Bolivie. C’est ici que 10 ans plus tôt, comme l’a dit un observateur, s’est déroulée « la première rébellion du 21ème siècle ».

Au cours de ce qui fut appelé la guerre de l’eau, des gens venus de toute la Bolivie ont convergé vers Cochabamba pour renverser la privatisation du système de distribution publique de l’eau.

Comme me l’a dit Jim Shultz, fondateur du centre démocratique basé à Cochabamba, « Les gens aiment les histoires de David et Goliath et la révolte de l’eau a vu David triompher non pas d’un Goliath, mais de trois. Nous les appelons les trois B : Bechtel, Banzer et la Banque. » « La Banque mondiale », explique Shultz, « a forcé le gouvernement bolivien, dirigé par le président Hugo Banzer, qui avait dirigé comme dictateur dans les années 70, à privatiser le système de distribution d’eau de Cochabamba. La multinationale Bechtel, seul offrant, a pris le contrôle de la distribution d’eau ».

Le dimanche, j’ai marché sur la place principale, dans le centre de Cochabamba, avec Marcela Olivera, qui était dans les rues 10 ans plus tôt. Je l’ai interrogée sur le première banderole du mouvement, qui flotte pour l’anniversaire et revendique « El agua es nuestra, carajo ! – L’eau est à nous ! » Bechtel augmentait le prix de l’eau. Les premiers à le remarquer ont été les fermiers, dépendants de l’irrigation. Ils ont demandé le soutien des ouvriers des villes. Oscar Olivera, le frère de Marcela, était à leur tête. Il a proclamé lors d’un rassemblement « Si le gouvernement ne veut pas que la compagnie des eaux quitte le pays, les gens les ficheront dehors. »

Marcela se souvient : « Le 4 février, nous avons appelé à une mobilisation. Nous l’avons appelée “la toma de la plaza”, la prise de la place. C’était la rencontre des gens venus des champs, d’autres venus de la ville, tous rassemblés en même temps… Le gouvernement a dit qu’il ne le permettrait pas. Plusieurs jours avant que cela n’arrive, ils ont envoyé des policiers en voiture et à moto autour de la ville, pour essayer d’effrayer les gens. Et le jour de la mobilisation, ils n’ont pas laissé les gens avancer plus de 10 mètres, ils ont commencé à utiliser des gaz. » La ville fut fermée par la coalition de fermiers, ouvriers et planteurs de coca, appelés cocaleros. Des troubles et grèves se sont étendus aux autres villes. Au cours de la répression militaire et de l’état d’urgence décrété par l’ancien président Banzer, un jeune de 17 ans nommé Victor Hugo Daza fut tué d’une balle dans la tête. En proie à la fureur publique, Bechtel a fui la ville et son contrat avec le gouvernement bolivien a été annulé.

Les cocaleros ont joué un rôle crucial dans la victoire. Leur chef de file était Evo Morales. La guerre de l’eau à Cochabamba allait finalement le propulser à la présidence de la Bolivie. Aux Nations Unies, lors du sommet sur le climat de Copenhague, il a appelé aux actions les plus rigoureuses concernant le changement climatique.

Après le sommet, la Bolivie a refusé de soutenir l’accord de Copenhague, voulu par les Américains. L’ambassadeur de Bolivie aux Nations Unies, Pablo Solon, m’a dit que par conséquent, « Nous avons appris par les médias que les Etats Unis allaient annuler des aides de 3 millions à 3,5 millions de dollars pour des projets relatifs au changement climatique. » Plutôt que d’accepter l’aide monétaire des Etats Unis pour le changement climatique, la Bolivie assume un rôle de pointe pour aider à organiser la société civile et les gouvernements, avec un objectif – modifier l’orientation du prochain sommet de l’ONU sur le climat, prévu à Cancun (au Mexique) en décembre.

C’est pourquoi plus de 15.000 personnes venues de plus de 120 pays se sont rassemblées ici, cette semaine du « Jour de la Terre », à la conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la terre. Morales a demandé à cette assemblée d’offrir aux pauvres et aux habitants du sud la possibilité de répondre aux accords décevants de Copenhague.

L’ambassadeur Solon a expliqué le raisonnement qui sous-tend ce sommet des peuples : « Les gens me demandent comment cela peut venir d’un petit pays comme la Bolivie. Je suis l’ambassadeur aux Nations Unies. Je connais cette institution. S’il ne vient pas de pression de la société civile, le changement ne viendra pas des Nations Unies. L’autre pression sur les gouvernements vient des sociétés multinationales. Pour contrer cela, nous devons développer une voix venant de la base. »

Denis Moynihan a contribué à la recherche pour cet article.

Amy Goodman est une journaliste d’investigation primée et chroniqueuse d’agence, auteur et productrice déléguée de Democracy Now !

www.democracynow.org
Traduit par Serge Delonville