Par Ginette Baudelet

L’augmentation du prix du carburant à l’origine de ce mouvement citoyen s’est rapidement étendu à des revendications multiples qui à l’évidence ont toutes pour dénominateur commun la misère sociale : depuis des années la stagnation des salaires générant des fins de mois difficiles, l’augmentation des taxes, impôts et prélèvements divers, des loyers, des biens de première nécessité, les frais universitaires et scolaires en constante augmentation, et le marché de l’emploi restreint, etc.

Ce mouvement citoyen, que n’encadre aucun syndicat ni parti politique, a désarçonné les politiques habitués à ce que les manifestations supposent des responsables, ou des porte-parole avec lesquels entamer un dialogue ; ici ce n’est pas le cas, tous sont responsables, autant dire personne en particulier. Emporté par une déferlante de désobéissance civile, les gilets jaunes dont la manifestation était prévue au Champ de Mars ont déferlé sur les Champs Elysées enfreignant l’interdit posé par la préfecture de police. Il s’en est suivi un préalable et inutile quadrillage du Champ de Mars par les forces de police, lesquelles se trouvèrent dépourvues lorsque la manifestation surgit là où on ne l’attendait pas. La colère populaire était à la hauteur des revendications demeurées sans suite, et du mépris collectivement ressenti. Les inégalités sociales qui se sont accentuées, aggravées par la surdité des politiques ne laissent aux citoyens que la contestation active. Le dénommé français moyen est devenu au fil du temps un français sans moyens, contraint de puiser dans ses économies, ou d’avoir recours à des crédits. En septembre 2018 les retraits effectués sur le livret A s’élevaient à 410 millions d’euros, et dépassaient de deux milliards les dépôts en octobre, dus non seulement aux frais afférents à la rentrée scolaire, mais également aux lourdes charges fiscales.

Par leurs déclarations totalement déconnectées de la réalité, les responsables politiques enveniment un peu plus le climat social déjà très tendu. Évoquer la réduction du parc nucléaire alors que les doléances portent sur les difficultés à boucler les fins de mois témoigne bien de cette distance entre les gouvernants et le peuple. En témoigne également cette déclaration du ministre de l’Action et des comptes publics à la Sorbonne, qui disait comprendre « ce que c’est que de vivre avec 950 euros par mois, quand les additions dans les restaurants parisiens tournent autour de 200 euros, lorsque vous invitez quelqu’un et que vous ne prenez pas de vin » (Cf. Le Canard enchaîné 28 novembre 2018).

Relayées par la presse, les phrases choc du président, rebaptisé le « méprisant de la république » attestent de son mépris social et de sa vision du peuple :

– « Les salariés doivent pouvoir travailler plus, sans être payés plus si les syndicats majoritaires sont d’accord »,

– « Le chômage de masse en France c’est parce que les travailleurs sont trop protégés »,

– « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien »,

– « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux »,

– « Je traverse la rue, je vous trouve du travail », réponse lapidaire du chef de l’État à un jeune horticulteur en recherche d’emploi.

Et depuis l’étranger ces jugements de valeur à connotation dédaigneuse :

– Au Danemark, « Ce peuple luthérien, qui a vécu les transformations de ces dernières années, n’est pas exactement le Gaulois réfractaire au changement »,

– En Roumanie, il avait fait allusion à « un pays qui n’est pas réformable », et à des « Françaises et Français qui détestent les réformes »,

– A Athènes, il déclare devant la communauté française « Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes ». « Aucun regret. Je maintiens » a-t-il déclaré à son retour.

La question se pose de savoir si :

– Le pouvoir rime inévitablement avec mégalomanie et avidité.

– La gouvernance justifie les promesses non tenues, les dérives financières, les passe-droits, le favoritisme, la corruption, les privilèges, tout ce dont le peuple ne veut plus.

– La place accordée à la liberté de vivre décemment sera prise en compte dans un pays qui a pour devise Liberté, Égalité, Fraternité, quand la quête d’égalité des droits face aux disparités économiques a fait surgir une fraternité soudainement cristallisée autour de revendications communes.

Si « les hommes puissants s’efforcent de détruire l’inclination naturelle de leurs semblables vers la liberté et l’égalité, et surtout de les abaisser pour s’élever au-dessus d’eux » *, aujourd’hui plus que jamais, il est opportun pour ceux qui sont aux responsabilités de se souvenir que ce sont les peuples qui font l’Histoire. La population mise au régime du fait d’un pouvoir d’achat en continuelle baisse oriente ses revendications vers un changement de régime dans lequel les privilèges seraient abolis.

Dans un contexte de dictature financière, la question est de redéfinir le rôle de l’état représentant du peuple. Est-il au service du marché, ou à celui des citoyens ? Quels sont ses moyens d’action au plan national et européen ? Quel est son positionnement face aux pauvres ? Si la place de l’argent dans nos sociétés est prépondérante par rapport à celle de l’être humain, et que l’État lui est assujetti, alors les conséquences en sont les violences économiques, sociales, psychologiques, raciales, sexuelles. Les aspirations profondes des peuples à pouvoir vivre dignement seront-elles entendues ?

* Jean Jacques Bedu, Anges et démons.