NOTRE HISTOIRE FAMILIALE, UN HÉRITAGE

« Les Evolués, les Aide-médicaux, le pensionnat, les Etudes Moyennes, la théologie », voilà un tas de mots que j’ai souvent entendus lors des discussions de famille, sans jamais réellement en comprendre le sens.

Le Master Class du film « Sœur Oyo » de Monique Mbeka m’a permis de comprendre d’où je venais, quelle était cette partie de mon histoire dont je ne parvenais pas à identifier les rouages.
Je suis une enfant née en Belgique, d’un papa congolais, originaire de l’ex-Zaïre, et d’une maman belge.

Monique Mbeka, cette cinéaste belgo-congolaise, je me retrouve dans ce qu’elle nous raconte ! Elle répond à un tas de mes questions jusque-là sans réponses. Pourtant, cette maman est née bien avant moi, et de surcroît à une période bien plus proche de l’époque coloniale.

Et si mon père et mes tontons [1] venus étudier en occident, mais aussi mes grands-parents étaient ceux qu’on nommait « les Evolués »[2] au temps de l’époque coloniale ? Et si cette vieille tante secrétaire et son mari comptable étaient ces personnes importantes, qui ont réussi leurs Etudes Moyennes ? Pourquoi tant de Congolais que je connais ont-ils étudié la théologie ? Être issus d’une école séminaire, était-ce un gage pour pouvoir intégrer une université ? Pourquoi disait-on de mon grand-père qu’il était aide-médical, médecin, infirmier, mais aussi pharmacien ?

Le discours de Monique, la présentation de ses souvenirs de petite fille font écho. Elle, qui écoutait avec passion les anecdotes de ses parents, nous pouvons tous nous retrouver dans son récit, à la différence qu’elle en a fait un film… quelque chose d’immuable. Les paroles s’envolent mais les images restent, c’est une partie de notre héritage qu’elle nous livre.

« Les meilleurs experts que nous avons dans notre vie, ce sont nos enfants. Quel que soit leur âge, ils reproduisent notre histoire ! Ils nous observent, se questionnent, ils sont sensibles aux non-dits. Même lorsque nous sommes poussière, une fois décédés, ils poursuivent notre récit car ils sont entrés durant notre vie en connexion avec le nôtre ». Citation de Monique MBEKA

« SŒUR OYO » [3] , UN COURT-MÉTRAGE QUI EN DIT LONG !

C’est l’histoire d’une petite fille qui se retrouve dans un pensionnat religieux. Celui-ci est un endroit inhabituel, peu familier, où on ne parle que le français et où on chante en latin.

Cette fillette, c’est Godelive, une enfant qui a dû se séparer de sa grand-mère qu’elle aimait tant, et ceci pour intégrer le pensionnat catholique de Mbanza-Mboma, la première école francophone pour petites filles congolaises.

Pour Godelive, cette rupture avec sa grand-mère bien-aimée et sa maison familiale est un véritable traumatisme. Même si on lui répète qu’intégrer cette école est un honneur et une chance, son cœur est triste.

On y parle une langue étrangère, les interdits sont multiples, les règles de vie très strictes, l’enseignement chrétien qu’elle y reçoit est très éloigné de sa culture; elle ne comprend pas les prières qu’elle doit réciter quotidiennement.

Un jour de classe, l’enseignante, qui est une religieuse, raconte la Genèse. Godelive et les autres fillettes se retrouvent apeurées. Dans leurs pensées, elles fusionnent l’histoire du serpent du jardin d’Eden avec une légende sur un croquemitaine local.

Dans ce pensionnat, Godelive trouve des exécutoires : le chant et ses rêves dans lesquels sa grand-mère lui parle.
Cette histoire est inspirée du vécu de la mère de Monique Mbeka, une femme qui a passé 8 ans de son enfance dans ce pensionnat prestigieux du Bas-Congo, au cœur de la forêt, là où des serpents rentraient jusque dans les chambres.

Cette maman était issue de la classe dite « des évolués », c’est-à-dire l’élite indigène de l’époque coloniale, à laquelle appartenaient notamment les politiciens et les professionnels de milieux davantage considérés dans la société congolaise.

MAËLLE CHERPION & al., « MÉTIS »[4], UN MÉMOIRE MÉDIATIQUE QUI A RETENU L’ATTENTION DE LA TÉLÉVISION BELGE RTBF

Dans ce court métrage « Métis », trois étudiantes en master en communication nous évoquent ce passage de l’histoire coloniale que certains ont nommé « la cause métisse » :

« Beaucoup d’enfants naissent issus d’unions mixtes. La plupart d’entre eux ne seront pas reconnus par leurs pères, parfois déjà mariés à des épouses ayant regagné l’Europe. Ces relations bien qu’elles soient consenties, ou parfois même concrétisées par un mariage coutumier, sont interdites et taboues.

Les enfants mulâtres, comme on les nommait fréquemment, seront placés en orphelinats, enlevés par des agents de l’Etat. Ils sont alors apatrides.

A l’âge du mariage, la plupart des jeunes filles seront mariées à des hommes choisis pour elles, sans d’autres choix ou options possibles »

LE CINÉMA, UNE OUVERTURE AU DIALOGUE INTERCULTUREL, UNE AUTRE FAÇON DE RACONTER NOTRE HISTOIRE COMMUNE

Etymologiquement, le mot « enfant » (infans, latin) signifie « celui qui ne parle pas », et donc par extension ce petit être vulnérable d’âge jeune.

Les courts-métrages, décrits brièvement dans cet article, nous renvoient en « Cette journée mondiale des droits de l’enfant» à l’importance du dialogue et de la transmission.

Il est important d’oser parler, de raconter nos souvenirs, nos faits familiaux, nos anecdotes pour libérer nos mémoires collectives, pour être heureux et fiers de ce que nous sommes.

Il est nécessaire de faire émerger les souvenirs pour témoigner de la diversité de l’histoire de l’humanité que nous constituons ensemble.

ET SI LE FILM « SŒUR OYO » ÉTAIT UNE OCCASION DE NOUS RAPPELER LA CONVENTION DES DROITS DE L’ENFANT :

– Droit à la vie
– Droit à un nom et une nationalité
– Droit de vivre avec ses parents
– Droit à la liberté d’expression
– Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion
– Droit à la protection contre les mauvais traitements
– Droit à la santé
– Droit à l’éducation
– Droit à la protection contre la guerre et la privation de liberté

Certains droits les plus souvent bafoués chez les enfants illustrés dans ces deux courts-métrages.

« Rien n’est plus important que de bâtir un monde dans lequel tous nos enfants auront la possibilité de réaliser pleinement leur potentiel et de grandir en bonne santé, dans la paix et dans la dignité » Koffi A. Annan, secrétaire général de L’ONU.[5]

 

[1] En Afrique, « tonton » est le nom utilisé pour désigner une personne hors de la famille pour laquelle quelqu’un de plus jeune a une affection de type filial

[2] Évolué est une terme utilisé à la période coloniale pour désigner un natif d’Afrique ayant évolué en devenant européanisé par l’éducation ou l’assimilation.

[3] https://bxl.demosphere.eu/rv/10674

[4] https://vimeo.com/68284269

[5] http://www.journee-mondiale.com/98/journee-internationale-des-droits-de-l-enfant.htm