Un appel signé par de nombreux professeurs et chercheurs en droit international public  intitulé « Contre une invocation abusive de la légitime défense pour faire face au défi du terrorisme » circule sur la toile depuis une quinzaine de jours.

Parmi les signataires de la liste qui compte plus de 220 professeurs  et une cinquantaine de chercheurs/doctorants/assistants,  (voir la liste actualisée au 21 juillet par le Centre de Droit International de l´Université Libre de Bruxelles (ULB) disponible  ici )  on retrouve plusieurs grands noms du droit international, associés pour l´occasion  à des enseignants et à des assistants bien plus jeunes.  L´objectif  d´une telle initiative est de mettre en cause le recours à l´argument juridique de la légitime défense  invoqué par plusieurs Etats dans le contexte de la lutte contre l’Etat islamique.

Comme on le sait, la Charte des Nations Unies est on ne peut plus claire concernant la seule exception de prévue à la prohibition de l´usage de la force depuis 1945: la légitime défense (et les actions autorisées par le Conseil de Sécurité au titre du Chapitre VII).  Or, depuis le 11/S, bien des interprétations douteuses ont vu le jour afin de justifier des actions armées unilatérales sur le territoire d´autres Etats sans compter avec leur consentement. La légitime défense ne peut s’exercer que conformément aux conditions établies par la Charte des Nations Unies et par le droit international. La France, à cet égard avait surpris bien des observateurs en présentant, suite aux attentats de Paris, un projet de résolution au Conseil de Sécurité  (voir  texte  de la « blue version »)  sans aucune mention à la Charte des Nations Unies dans le dispositif  du texte: nulle doute qu´il s´agit d´une grande première pour la diplomatie française, méritant d´être soulignée  (Note 1).

Le texte de cet appel (dont on peut trouver le texte en Français, en Anglais, en Portugais, en Espagnol et en Arabe  ici ) précise en outre que :

« C’est ainsi au nom de la légitime défense qu’ont été justifiées de nombreuses interventions militaires, comme celles visant Al Qaeda, Daech, ou des groupes qui y sont affiliés. Alors que certains ont minimisé ces précédents en insistant sur leur caractère exceptionnel, le risque est grand que la légitime défense devienne rapidement un sésame justifiant systématiquement le déclenchement d’actions militaires menées tous azimuts et unilatéralement. Or, sans nous opposer par principe à l’usage de la force contre les groupes terroristes —notamment dans le contexte actuel de la lutte contre Daech— nous, professeur(e)s et chercheur(e)s en droit international, estimons que cette invocation croissante de la légitime défense est contestable. Le droit international prévoit en effet une série de mesures de lutte contre le terrorisme qui devraient être utilisées en priorité avant d’en arriver à l’invocation de la légitime défense ».

Pour les nombreux spécialistes signataires de cette lettre collective,

« … le terrorisme pose avant tout le défi de la prévention et de la répression, en particulier celui de la poursuite et du jugement des auteurs d’actes terroristes. Les outils qu’offre le droit sont à cet égard variés : ils renvoient principalement à une coopération policière et judiciaire, visant à la fois la répression des crimes commis et la prévention de leur répétition. Cette coopération mériterait certes d’être approfondie et améliorée, mais elle a jusqu’ici prouvé à maintes reprises son efficacité pour démanteler des réseaux, déjouer des attentats ou arrêter leurs auteurs. En se plaçant d’emblée sur le terrain de la « guerre contre le terrorisme » et de la « légitime défense », et en se référant souvent à un état d’exception dérogatoire du droit commun, le risque est grand de minimiser, de négliger voire d’ignorer ce dernier.

On notera que tout internationaliste peut signer d´ici au 31 juillet 2016 ce texte qui rappelle un certain nombre de vérités que les diplomates à New York connaissent mieux que quiconque, malgré le flou qu´entretiennent savamment certains d´entre eux, notamment depuis le début des actions militaires menées en Syrie, sans le consentement de ses autorités (Note 2):

« … c’est au Conseil de sécurité qu’incombe, conformément au chapitre VII de la Charte des Nations Unies, la responsabilité principale dans le domaine du maintien et du rétablissement de la paix. Ce dernier a qualifié à de nombreuses reprises le terrorisme international de menace contre la paix et il est logique que, excepté dans des cas d’urgence qui ne laisseraient pas le temps de le saisir, c’est à lui qu’échoit la responsabilité de décider puis coordonner et superviser une action éventuelle de sécurité collective. La pratique consistant à le confiner dans un rôle de producteur de résolutions ambiguës et à portée essentiellement diplomatique, comme cela a par exemple été le cas avec l’adoption de la résolution 2249 (2015) relative à la lutte contre Daech, doit être dépassée au profit d’un retour à la lettre ainsi qu’à l’esprit de la Charte propres à assurer une approche multilatérale de la sécurité. /…/ Le simple fait qu’un Etat soit, malgré ses efforts, incapable de mettre fin à des actes terroristes sur son territoire ne peut en revanche suffire à justifier le bombardement de son territoire sans son consentement. Un tel argument ne trouve aucun fondement ni dans les textes juridiques existants, ni dans la jurisprudence établie par la Cour internationale de Justice. Son acceptation risquerait de mener aux abus les plus graves, les actions militaires pouvant désormais être menées contre la volonté d’un grand nombre d’Etats sous le seul prétexte que ceux-ci ne seraient, aux seuls yeux de la puissance intervenante, pas suffisamment efficaces dans la lutte contre le terrorisme ».

Les signataires, dont le nombre augmente de jour en jour, concluent,  en indiquant haut et fort, jeunes et moins jeunes,  que :

« L’ordre juridique international ne peut se réduire à une logique interventionniste similaire à celle que l’on a connu antérieurement à l’adoption de la Charte des Nations Unies. Cette dernière a eu pour objet de substituer aux actions militaires unilatérales un système multilatéral fondé sur la coopération et sur le rôle accru du droit et des institutions. Il serait dramatique que, sous le coup de l’émotion bien compréhensible que suscite la multiplication des attentats terroristes, on en vienne à l’oublier ».

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Note 1 : Cf. BOEGLIN N., «Attentats à Paris : remarques à propos de la résolution 2249 », Actualités du Droit, 6/12/2015, disponible ici . Cf. aussi, suite aux débats parlementaires au Royaume Uni autorisant des frappes en Syrie, BOEGLIN N. «Arguments based on UN resolution 2249 in Prime Minister´s report on airstrikes in Syria: some clarifications needed », 3/12/2015, disponible ici .

 

Note 2: Sur la notion d´Etat incapable ou défaillant, justifiant, pour certains, des actions armées anti terroristes sur son territoire sans compter avec le consentement de ses autorités,  voir: CORTEN O., “The ‘Unwilling or Unable’ Test: Has it Been, and Could it be, Accepted?”, Leiden Journal of International Law, 2016, texte complet de cet article disponible  ici .