Par Maxime Goudeseune 

Au contexte social de plus en plus tendu partout en Europe, particulièrement en France et en Belgique, s’ajoutent les incertitudes et les peurs autour des négociations du Traité transatlantique. Plus connu sous le nom de TTIP ou TAFTA, il résonne dans la tête des négociateurs comme une avancée spectaculaire en termes économiques et de libéralisation du marché. Mais, pour le citoyen lambda, ce traité semble plutôt être un recul. La sécurité alimentaire, le principe de précaution, les appellations d’origine contrôlée, la protection des PME,… tout ceci semble être mis de côté dans ces négociations opaques. Pour Adoracion Guaman, professeur de droit du travail et auteure du livre «TTIP: l’assaut des multinationales à la démocratie », l’unique enjeu est de permettre une dé-régularisation violente qui amènerait plus de profits aux grandes entreprises et aux détenteurs des moyens de productions.

En quoi les révélations de Greenpeace ont-elles apporté quelque chose de nouveau dans le débat autour des négociations sur le TTIP ?

Les documents de Greenpeace nous ont confirmé tout ce qu’on redoutait déjà. Mais leur divulgation prouve aussi que les négociations ne sont pas très avancées car il y a beaucoup de barrières à franchir. On a pu observer dans les textes des postures très différentes des deux côtés (USA et UE) sur des sujets importants comme les marchés publics et les appellations d’origine contrôlée. Il apparaît donc que les USA et l’Europe ne peuvent pas se mettre d’accord aussi facilement que certains l’avaient cru. Et d’autre part le document nous a confirmé que les deux acteurs vont dans le même sens : celui de l’hyper-libéralisation.

Qu’est-ce qui pose le plus gros problème entre les deux parties ?

Ce qui constitue actuellement le plus gros souci pour l’avancement des négociations ce sont les marchés publics. Cela pose un problème pour les Européens car les Etats-Unis ne veulent pas changer leurs normes. Les USA ont des règles beaucoup plus strictes et encadrantes alors que le marché public de l’UE est très ouvert. L’Europe demande ainsi aux USA d’ouvrir leurs marchés publics mais pour l’instant ces derniers ne veulent pas changer leur position.

Si les négociations semblent bloquées à ce niveau, pourquoi les documents de Greenpeace ont-elles provoqué autant de remous dans l’opinion publique ?

Dans les 16 documents, on retrouve des passages qui sont déjà ‘consolidés’. Enfin, ‘consolidés’ n’est peut-être pas le bon terme car il ne s’agit pas d’une version définitive mais il y a bel et bien des sujets sur lesquels les négociateurs ont émis une espèce d’accord préliminaire.

Parmi ces accords préliminaires, on retrouve la question des importations et exportations de produits agricoles entre Etats-Unis et Union Européenne. Question pour laquelle les négociateurs ne semblent pas se soucier du principe de précaution, notamment en ce qui concerne les produits phytosanitaires (pesticides, insecticides,…). En revanche, il n’y a pas d’accord préliminaire concernant les taxes pour les véhicules.

Ce qui nous désole, c’est de voir que les intérêts des négociateurs sont très éloignés des intérêts des consommateurs. L’agriculture semble ainsi passer après les voitures, alors qu’on estime que la nourriture est plus importante pour l’être humain que les transports.

Ce point est d’ailleurs d’autant plus important que la Commission Européenne répète aux associations et aux ONG qu’elle ne va pas laisser tomber le principe de précaution. Or, quand on analyse le discours des négociateurs européens, on constate qu’ils disent très clairement : « il faut regarder objectivement les évidences scientifiques pour protéger les gens ».

Le problème c’est que l’observation objective va à l’encontre du principe de précaution. Rien n’est dangereux tant qu’on n’a pas pu l’observer scientifiquement, c’est ainsi que raisonnent les négociateurs. Pourtant, cela fait des années qu’on utilise des produits phytosanitaires et c’est seulement aujourd’hui que l’on peut observer les dégâts sur les sols. Alors doit-on attendre les effets sur notre corps pour avoir une « évidence scientifique » de la toxicité de ces produits ?

L’agriculture est donc le point le plus sensible selon vous ?

L’agriculture est un point important mais ce n’est pas le seul. Il y a un passage dans les textes qui s’attarde sur les PME. Il prévoit divers mécanismes d’information mais il n’y a rien qui concerne leur protection dans un marché qui deviendrait encore plus concurrentiel. Il n’y a pas de système contraignant pour gérer les différences (entre USA et UE). En fait, de façon générale les négociations ne s’attardent que très peu sur le travail, l’environnement et les PME, bref tout ce qui concerne directement les « petits ». En ayant lu le CETA, on se doutait que le TTIP serait du même acabit. Et les documents de Greenpeace ont confirmé que, oui, la libéralisation/dérégulation sera très considérable.

Le document de Greenpeace est « vieux » d’après plusieurs eurocrates. Ils ont souligné que beaucoup de choses avaient déjà été modifiées depuis. Peut-on dès lors s’y fier ?

Les documents ne sont pas si vieux qu’ils veulent bien le laisser sous-entendre. La révision juridique du texte et les dernières modifications ont vraisemblablement été faites fin 2015. C’est vrai que les choses peuvent toujours être modifiées mais, je le répète, ce qui est important à ce niveau des négociations, et le document de Greenpeace nous le confirme, c’est la tendance ! Une tendance ultra-libérale dont on connaît les dérives.

Mais est-ce que le TTIP est réellement faisable ? L’Europe n’arrive déjà pas à s’harmoniser au niveau social et fiscal entre les 28. Est-il imaginable que l’Europe tout entière s’harmonise avec les Etats-Unis ?

C’est vrai que l’harmonisation sociale et fiscale n’est pas au point en Europe mais, pour ce qui concerne les services et la circulation des marchandises, tout est encadré. Il y a des normes de concurrences, de sécurité alimentaire, etc.

Le problème avec le TTIP n’est pas l’harmonisation en soi, c’est plus dangereux que ça. Les eurocrates parlent d’harmonisation mais on ne va pas arriver à cela. C’est en effet beaucoup trop compliqué d’arriver à une harmonisation. Ils vont donc certainement passer par le principe de reconnaissance mutuelle. Cela signifie que l’on va reconnaître comme valide la norme de l’autre, pour éviter la complexité d’une harmonisation. C’est encore plus dangereux car du coup on ne peut même pas discuter.

Ils vont essayer d’utiliser des mécanismes de coopération pour ce qui ressort du domaine technique comme la construction des voitures. Pour ce genre de sujets, ils vont donc arriver à des accords, mais pour des sujets complexes où il y aurait trop de lois à modifier, ils vont passer par le principe de reconnaissance mutuelle.

Dans ce cas de figure, à qui serait-ce le plus profitable ? Aux Etats-Unis ou à l’Union européenne ?

On ne peut pas parler d’un intérêt des EU contre les UE car ce n’est pas ça. C’est la classe populaire contre ceux qui ont les moyens de production, les plus grosses entreprises et ceux qui ont le plus d’argent. Ce sont les grandes multinationales qui profiteront vraiment de l’ouverture du marché transatlantique, pas les petites et moyennes entreprises.

À vous entendre, le seul but du TTIP est de libéraliser encore plus et de donner plus d’argent à ceux qui en ont déjà. C’est ça ?

Il ne s’agit pas vraiment de libéraliser, bien que le sens de ce mot soit parfois tronqué, mais de dé-régulariser. Mais le plus gros ennui avec ce TTIP c’est qu’il est avant tout anti-démocratique. Il éloigne encore plus la population du pouvoir de décision, laissant les questions importantes de la vie de tous les jours (qualité de l’alimentation, sécurité des produits,…) hors de notre portée. On voit déjà, rien qu’en Europe, que les détenteurs de moyens de production et les grandes entreprises ont énormément de poids à travers le lobbying qu’ils exercent aux plus hauts niveaux des pouvoirs décisionnels. Si l’Europe dé-régularise et met fin à ses normes sur les OGM par exemple, pourrons-nous faire marche arrière ?

Les ONG anti-TTIP veulent en réalité poser un cadre dans lequel on (le peuple) garde un minimum de pouvoir, notamment sur le principe de sécurité qui permet de garantir une certaine protection pour notre santé.

D’autant qu’aujourd’hui, et de plus en plus, on réduit les dépenses publiques tout en offrant des facilités pour soutenir les investissements privés. Cela déséquilibre d’avantage la balance qui est pourtant déjà largement favorable aux puissants.

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Source: Investig’Action.

http://www.investigaction.net/adoracion-guaman-le-ttip-est-anti-democratique/