Par : Gabrielle  Trottmann pour Opinion Internationale

Depuis qu’il a quitté le poste de directeur de l’Institut Goddard pour les études spatiales de la NASA qu’il a occupé entre 1981 et 2013, le climatologue James Hansen milite activement contre le réchauffement climatique : il a assisté à sa « première COP » cette année. Qui est cet homme décrit comme la « Cassandre du climat », qui, le premier, a alerté le Congrès américain du danger du réchauffement climatique en 1988 ? Quelles solutions propose-t-il afin d’éviter la catastrophe planétaire ?

James Hansen aime raconter comment il a toujours préféré sensibiliser ses petits-enfants aux questions environnementales en essayant de leur faire aimer la nature, plutôt qu’en leur parlant du drame du réchauffement climatique. Comment son petit-fils a fondu en larme le jour où, malgré toutes les précautions prises pour le préserver, il a fini par en entendre parler. Et comment cet enfant sensible et brillant a fini par en venir à cette conclusion : si l’on ne fait rien maintenant, on mettra les prochaines générations dans une situation où seule l’invention d’une « machine à remonter le temps » pourra les sauver. Bref, il est urgent d’agir contre le réchauffement climatique…

On peut être touché… ou pas, par le sentimentalisme de cette stratégie de communication très américaine du climatologue superstar. Mais quels que soient les sentiments qu’elle nous inspire, on peut lui reconnaître une légitimité certaine. A en croire le climatologue, l’objectif de limitation du réchauffement planétaire de deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle fixé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est « pratique » et non « scientifique », et l’on ne peut en aucun cas s’en satisfaire. Selon les études qu’il mène, même en le respectant, le niveau des eaux continuera à monter pendant des siècles 1,5 degré, comme le réclament les chefs d’Etats de certaines îles menacées de disparition, ne serait pas non plus suffisant.

Fixer un prix au carbone et laisser sa chance au nucléaire

Or, cet objectif qui ne devrait même pas en être un selon James Hansen, les chefs d’Etats n’arrivent même pas à s’entendre pour mettre en place les mesures qui permettraient de l’atteindre. Pour James Hansen, la solution au problème est pourtant simple  et elle est avant tout économique : pour arrêter de recourir aux énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre, il suffit de les rendre plus chères que leurs alternatives décarbonnées : « donner au carbone son prix honnête, c’est-à-dire celui de son véritable coût pour la société », nous dit-il lorsque nous le rencontrons à la conférence qu’il a donné à la « Galerie des Solutions » qui s’est tenue parallèlement aux négociations de la COP21 au Bourget. Et pour cela, « le plus simple demeure encore de fixer un prix global au carbone, contrairement à ce que les politiques comme Christiana Figueres affirment. Ce qui est compliqué, c’est que chaque pays fixe ses propres règles, ses propres objectifs de son côté».

Une solution qui, sur le principe du moins, n’a pas de quoi fâcher grand monde. Le militantisme de James Hansen contre ce qu’il considère comme un « lobby anti-nucléaire habité par une ferveur quasi-religieuse » est en revanche plus controversé. Le climatologue se bat également pour la reconnaissance du nucléaire comme alternative intéressante aux énergies fossiles, à intégrer dans un mix énergétique au côté des renouvelables. Quitte à ce que cela ne soit que temporaire… Bien que, comme l’argumentent ses opposants, on installe rarement une centrale nucléaire pour simplement cinq ou dix ans. Une nouvelle génération de réacteurs beaucoup plus propres, ayant énormément évolué depuis Tchernobyl , argumente-t-il, peut en effet fournir une électricité décarbonée à moindre coût, et ce, dès maintenant . « C’est en combinant le renouvelable (hydroéléctricité) et le nucléaire nouvelle génération que la Suède est devenu l’un des pays consommant le moins d’énergie fossile en 10 ans. » 

Mais les risques du nucléaire, ça ne compte pas ? Là encore, la réponse de James Hansen est celle de l’urgence : il faut savoir ce que l’on veut, «  les énergies renouvelables ne peuvent pas, du moins dans l’immédiat, couvrir l’intégralité de nos besoins énergétiques alors que c’est maintenant que nous devons sortir des énergies fossiles si nous voulons éviter le scénario de catastrophe planétaire ». A ceux qui demandent s’il ne faudrait pas mieux investir l’argent dans la recherche pour apprendre à stocker les énergies renouvelables qui ne peuvent être produites que par intermittence (solaire, éolienne), pour développer d’autres alternatives plus « propres » , ou pour optimiser les économies d’énergie, il répond : il n’est pas question d’opposer les alternatives aux énergies fossiles, il faut simplement leur « donner les même chances ».

« Laisser le marché décider »

« Fixons un prix au carbone, puis laissons le marché décider de ce qui sera l’alternative aux énergies fossiles. Moi, je parie que le nucléaire s’en tirera très bien », déclare James Hansen, aux antipodes des mouvements selon lesquels le réchauffement climatique serait engendré par les dérives du capitalisme et ne peut être enrayé qu’en en sortant, en disant non au système productiviste et en mettant à bas le consumérisme (Naomi Klein).

Une fois les énergies fossiles mises hors-jeu, laissons la main invisible du capitalisme faire son œuvre, selon la doctrine d’Adam Smith ? Il semble que ce soit sur elle que James Hansen mise, en définitive, si les gouvernements échouent : la Chine se convertit massivement aux énergies renouvelables et au nucléaire afin de sortir de sa dépendance au charbon qui entraîne des pics de pollution invivables. « Là-bas, une centrale pourra sans doute être construite en cinq ans, et non en quinze comme aux Etats-Unis », affirme-t-il. Avec cette offre d’énergie nucléaire à bas prix des pays émergents, le reste de la planète suivra automatiquement le mouvement… Du moins, c’est ce qu’il espère, aspirant à un maximum de collaboration entre les puissances occidentales et émergentes afin d’assurer un développement du nucléaire le plus sûr possible.

James Hansen attend des gouvernements beaucoup de courage. En revanche, il demeure assez défiant à leur égard, dans la pure tradition du conservatisme américain : pour James Hansen, l’argent collecté grâce à la fixation du prix du carbone ne doit pas permettre aux Etats à s’enrichir ou d’étendre leur influence, mais être reversé directement aux populations par un régime de redevances et de dividendes ( fee-and-dividend ). Ainsi, la société civile peut décider par elle-même de la façon dont elle souhaite poursuivre la transition énergétique. Le marché, plus représentatif de la volonté du peuple que les élus ? C’est en tout cas ce que James Hansen semble penser.

Le donneur d’alerte prend le changement climatique au sérieux : il le considère comme cette urgence absolument effrayante à traiter maintenant et pas dans cinquante ans, si l’on ne veut pas se retrouver « game over » . Comme devrait le faire chaque personne qui croit en ce qu’affirme la quasi-totalité de la communauté scientifique. Et peut-être a-t-il raison sur toute la ligne.

Mais si, comme l’affirme le Prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz, « si la « main invisible » semble souvent être invisible, c’est parce que le plus souvent elle n’est pas là », a-t-on réellement envie de simplement « laisser le marché décider » ? Au final, James Hansen a le mérite de proposer un scénario urgent qui rebattrait les cartes de la géopolitique énergétique de la planète.

Source : http://www.opinion-internationale.com/2015/12/12/39196_39196.html