On reconnaît que perdre sa nationalité n’arrêtera pas le terroriste-kamikaze puisque de toute façon en se donnant la mort, il la perdra. On convient donc qu’elle sera totalement inefficace pour enrayer le terrorisme. Mais pour la justifier, depuis l’extrême-droite d’où émane cette proposition aux membres du PS qui la soutiennent, en passant par la majorité de la droite, on nous affirme qu’il s’agit avant tout d’un symbole.

Mais le symbole de quoi ? Du refus de céder aux terroristes ? Les Françaises et les Français qui, sans brandir à chaque instant les valeurs républicaines, les pratiquent au quotidien ont montré de mille façons qu’il n’est pas question de céder en rien à l’idéologie mortifère qui anime ces fous de dieu. Et les sacrifices de la Nation qui consent, malgré les choix austéritaires du gouvernement, aux efforts qu’exige la protection des citoyens, illustrent cette détermination.

La déchéance de la nationalité est effectivement un symbole, mais pas celui qu’on veut nous faire admettre. C’est le symbole du renoncement et de l’abandon. Renoncement aux valeurs de la République et à l’une d’entre elle, l’égalité. Abandon d’un héritage, celui des Lumières. Cette mesure est bien dans l’air du temps où triomphent les idées qui se sont opposées à celles des Lumières, où resurgissent les termes du discours de Vichy, où la compétition a remplacé l’émulation, où la concurrence prime sur la solidarité, où l’autre n’est plus regardé comme un humain, mais enfermé dans une catégorie. C’est le triomphe de l’inégalité.

Oui, c’est de l’inégalité triomphante dont la déchéance de la nationalité est le symbole. Inégalité entre Français de souche – comme disent les admirateurs des Le Pen – et Français de papier. Mais au-delà, c’est la marque d’un temps où l’inégalité est à la base des grands choix politiques et économiques. L’inégalité est devenue la caractéristique majeure de notre temps. Jamais on n’a assisté une telle concentration, dans les mains d’une minorité, de la richesse et des moyens de l’accès à la santé, à l’éducation, au bien être, à une vie de qualité. Un processus qui fut un temps interrompu a repris son cours. De nouveau, les riches deviennent toujours plus riches et les autres voient leur condition se dégrader toujours plus. Jamais il n’y a eu autant de richesses accumulées ; jamais elles n’ont été aussi inéquitablement réparties.

Il ne s’agit pas d’un phénomène naturel, qui serait cyclique en quelque sorte. Il s’agit d’une volonté politique. L’idée développée dans des cadres supranationaux comme l’Union européenne ou l’Organisation Mondiale du Commerce que tous les actes de la vie doivent être soumis à la logique du profit a été voulue, négociée et décidée par nos gouvernements successifs. Un monde où la concurrence de tous contre tous appliquée dans des conditions d’inégalité croissante a été mis en place par la volonté de ceux qui nous dirigent et qui obéissent aux ordres du monde des affaires et de la finance.

La lâcheté de la plupart de ceux qui nous représentent et de tous ceux qui nous gouvernent, obsédés par leur unique souci de faire carrière et ayant renoncé à se battre pour des valeurs dont ils se gargarisent, a fait le reste.

La déchéance de la nationalité n’est pas un symbole. C’est un symptôme. Celui d’un mal majeur : l’inégalité. Et la volonté de l’entretenir.