Après le succès de Home en 2009, Yann Arthus-Bertrand sort son nouveau film, Human, demain. Reporterre a vu le film – touchant – et a rencontré l’infatigable écolo en hélico. Nos questions lui ont paru bizarres. Bizarre.

Par Marie Astier pour Reporterre

A bientôt 70 ans, l’infatigable écolo en hélico ne désarme pas. En 2009, son film Home nous alertait sur l’état de la planète, nous incitant à la protéger. Il aurait été vu par 600 millions de personnes. Avec Human, Yann Arthus-Bertrand se demande pourquoi « on n’arrive toujours pas à vivre ensemble ».

Le résultat est une sélection de témoignages, tous sur le même fond sombre, qui nous parlent de l’amour, de la guerre, de la pauvreté, du bonheur, le tout entrecoupé d’images vues du ciel. Les quarante mêmes questions ont été posées à plus de deux mille personnes dans soixante pays.

La sortie est prévue pour le 12 septembre, avec ensuite une projection devant l’assemblée des Nations Unies, une autre à la Mostra de Venise, une sortie dans les cinémas, et même sur Google. France 2 doit le programmer dans le mois qui vient, puis à partir du 22 septembre, mairies, ONG et associations pourront organiser gratuitement des projections.

A Reporterre, on s’est dit que ce nouveau film événement était l’occasion de rencontrer Yann Arthus-Bertrand, et de tenter de comprendre pourquoi ce personnage consensuel hérisse les poils de beaucoup d’écolos convaincus. Entretien à bâtons rompus.


Reporterre – Pourquoi sortir un film sur l’humain alors qu’à la fin de l’année c’est du climat que l’on parlera, avec la Conférence de Paris ?

Yann Arthus-Bertrand – J’ai assisté à pas mal de COP [« Conference of Parties », c’est-à-dire les conférences de négociation sur le climat de l’ONU, ndlr], je filme la déforestation, la glace qui fond, j’ai fait des films, des émissions télé pour amener des solutions, etc. Je crois qu’on est arrivés au bout de tout ça. Désormais on a besoin de plus d’amour, plus de vivre ensemble, de moins de cynisme et de scepticisme. En fin de compte ça rejoint l’écologie. C’est une façon différente de regarder le cœur des gens, tout simplement.

Votre film, grâce à la force des témoignages, est très touchant. Mais au-delà de l’émotion, quel est le message ?

Le message c’est que c’est toi qui vas changer le monde, personne d’autre. C’est à toi de te sentir humain, c’est à toi d’aimer un peu plus les autres. Faut arrêter de toujours demander aux autres de faire ce que l’on n’a pas envie de faire. C’est ce que dit Gandhi : « Sois toi-même le changement que tu veux voir dans le monde. »

Aujourd’hui je pense que le monde écolo est un monde de combat. Ce n’est pas comme cela que je vois l’écologie. Je la vois beaucoup plus amoureuse, et pleine de bienveillance. On est dans un monde un peu paranoïaque où tout le monde cherche à se bagarrer les uns contre les autres alors qu’on devrait s’aimer un peu plus. J’écoutais la radio hier sur les députés verts et ça m’horripilait, je ne me sens plus en accord avec tout ça.

Parlons de votre engagement écolo. Que pensez-vous de l’énergie nucléaire ?

C’est dépassé cela, avec le nombre de pesticides que l’on met tous les jours dans les champs… Le nucléaire chez les écolos c’est devenu une espèce d’idéologie, je n’ai pas d’avis là-dessus. Je ne suis pas pour le nucléaire mais je ne suis plus autant anti-nucléaire qu’à une époque.

Et à propos du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

Que veux-tu que je te dise ? On n’a pas besoin d’un autre aéroport. Mais en même temps, est-ce que ça vaut le coup de jeter des parpaings sur la gueule des flics ? Est-ce que ça vaut la vie de quelqu’un ? Non, je ne pense pas.

Vous avez travaillé pour Roland-Garros. En ce moment, il est question de détruire une partie des serres d’Auteuil pour agrandir les cours. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas d’avis là-dessus. Je ne connais pas bien le dossier. J’ai vu les serres qu’ils allaient démolir. Ce ne sont que des serres des années 70 qui sont très moches. Je pense que ça aurait été beaucoup plus malin de s’agrandir du côté du périphérique. Mais il y a des choses beaucoup plus importantes à défendre aujourd’hui dans l’écologie que les serres d’Auteuil. Le diesel dans Paris par exemple.

Il y a une espèce d’idéologie écolo, et on reste sur des vieux combats sans être capables de faire ce que l’on doit faire. Cela me désespère. Le changement climatique est en route et on est incapables de réagir.

Il y a une belle mobilisation sur le climat, quand même… Lisez Reporterre ! (par exemple là)

La mobilisation ce n’est pas l’action. Je me souviens au moment de Copenhague, il y a eu une manifestation contre le changement climatique, on devait être deux-cents. Quelques semaines plus tard il y avait des millions de personnes dans la rue pour les retraites. On n’arrive pas à mobiliser, on est dans un déni collectif.

On a besoin d’une révolution. Elle ne sera pas politique, elle ne sera pas scientifique, ce ne sera pas économique non plus, ce sera spirituel. Ce sera par l’éthique et la morale. Le jour où on aura un changement de comportement personnel, ça changera le monde.

En tant qu’écolo cela ne vous pose pas problème d’avoir travaillé pour le Paris-Dakar ou pour Total ?

D’abord à l’époque où je faisais le Paris-Dakar, personne ne parlait d’écologie ou de changement climatique. Il y avait beaucoup d’argent et ça allait à des villages qui ne vivaient que quand la course passait. Aujourd’hui c’est devenu une espèce de machine médiatique, mais en même temps, il n’y avait pas que du mauvais dedans.

Et Total ?

Qu’est-ce que j’ai fait pour Total, dites-moi ?

Des photos pour leur rapport d’activité.

C’est vrai. Je voulais absolument faire la Terre vue du ciel à Bornéo et j’ai volé avec leur hélicoptère, tout simplement.

Vous savez, il faut arrêter cette histoire d’un côté les gentils, d’un côté les méchants. Quand les gens prennent leur bagnole et mettent de l’essence dedans, personne ne se demande d’où vient l’essence. Est-ce qu’elle vient d’Arabie Saoudite, d’Irak, du Nigeria ? Il y a un côté très faux-cul alors que l’on vit avec le pétrole au quotidien. Sans, le monde s’arrête. Alors quelle est la solution, la décroissance ? Oui, d’accord, je suis pour vivre mieux avec moins.

La décroissance suppose-t-elle l’abandon de notre modèle économique capitaliste ?

Je n’ai pas la solution, je ne sais pas. Aujourd’hui tout le monde a une idée sur tout ! Dans mon film, ce que dit le président Mujica, est l’exemple même de ce que l’on doit faire [L’ex-président d’Uruguay explique dans le film que notre société de croissance et de consommation ne nous apportera pas le bonheur – NDLR]. C’est le seul homme politique présent dans mon film d’ailleurs. C’est le seul qui avait un regard intéressant.

Arrêtons de remettre tout le temps la faute sur les autres, sur Total, sur les lobbys, sur le nucléaire. Arrêtons avec ça.

(Il s’agace)

J’aimerais que l’on parle de mon film, s’il vous plaît.

Justement. N’est-il pas contradictoire de prôner la décroissance, mais de financer votre film grâce à la Fondation Bettencourt, fondée par une des plus riches familles de France ?

Pas du tout, au contraire. C’est formidable que la plus riche famille de France finance un film qui prône la décroissance. De toutes façons les films sont financés par des banquiers. D’ailleurs c’est étonnant, je pensais beaucoup me faire attaquer et vous devez être la première personne qui m’en parle. La fille Bettencourt est quelqu’un de très simple qui a envie de faire des choses. Quand je leur ai présenté le film j’étais un petit peu inquiet. Et en fait ils m’ont félicité, ils m’ont embrassé, ils étaient contents.

Mais en acceptant cet argent vous participez au système que vous dénoncez. Ne croyez-vous pas qu’il aurait fallu trouver plutôt trouver des financements alternatifs, par exemple ?

Je ne comprends pas. Je n’allais pas faire un kisskiss bankbank pour faire ce film ! C’est une façon que j’ai de travailler. Le cinéma ça coûte de l’argent et il m’en fallait beaucoup pour faire ce film, voilà. Il faut respecter les gens qui te donnent de l’argent pour faire le film que tu veux sans aucune contrainte, c’est courageux.

Avez-vous compensé carbone la réalisation de Human ?

Oui bien sûr. La compensation carbone est un outil formidable. Elle est toujours attaquée par les écolos et je ne comprends absolument pas. On a pu faire des milliers de fours à biogaz en Inde, je trouve cela vachement bien. Si tous les gens qui prennent l’avion compensaient carbone ça changerait le monde, ça ferait beaucoup d’argent pour lutter contre la déforestation dans les pays du Tiers monde !

Mais la compensation carbone, cela revient à payer plutôt que de changer son mode de vie, non ?

Mais puisqu’on ne change pas nos modes de vie, il vaut mieux payer, non ? C’est ridicule ce que vous dites.

Qu’espérez-vous que les gens vont faire après avoir vu votre film, en sortant de la salle ?

Chacun fait ce qu’il veut avec ce film. Tout à l’heure une journaliste du Pélerin m’a dit qu’en sortant du film elle les a appelées pour se réconcilier avec ses filles. Y’a le gars de France Inter qui m’a dit : « C’est drôle, parce qu’en regardant le film je me suis demandé qu’est-ce que j’ai fait de bien dans ma vie ? » Si ce film amène ces réflexions là, c’est formidable. Libération avait fait une quatrième de couverture en me traitant de nunuche, et c’est quelque chose qui m’avait rendu furieux mais que j’accepte aujourd’hui.

Donc votre film ne porte pas de message politique ?

C’est toi qui le sais. Si tu en trouves un, il y en a un. Si tu n’en vois pas, il n’y en a pas.

- Propos recueillis par Marie Astier


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Source : Marie Astier pour Reporterre

Photos : © Eric Coquelin/Reporterre

L’article original est accessible ici