Accusée « de provocation publique aux crimes et au délit » après la mise en ligne d’un article sur une manifestation anti-Sivens, une personne soupçonnée par la police d’être le directeur de publication du site d’information libre IAATA comparaissait lundi devant le tribunal, à Toulouse. Contre toute attente, le procureur a décidé d’abandonner les poursuites.

– Toulouse, correspondance

« Encore un procès à la con pour une histoire de merde. » La banderole noire aux inscriptions rouge sang flotte au vent. Une soixantaine de personnes sont rassemblées en face du Palais de Justice de Toulouse pour soutenir « 1 74 09 99 ». C’est par le début de son numéro de Sécurité Sociale que la personne incriminée a choisi d’être identifiée. En cause, un article paru le 1er mars sur le site d’informations participatif et alternatif IAATA (Information Anti Autoritaire Toulouse et Alentours). Ce texte titré « 21 février, les lapins de Garenne Acte 2 » se présente comme un récit du dernier rassemblement en soutien aux ZAD qui a défilé dans les rues de Toulouse.

L’auteur anonyme, comme tous les contributeurs de ce média libre, fait un compte-rendu succinct de cette manifestation qui a dégénéré en affrontements avec les CRS mobilisés, avant d’avancer des conseils pour les rassemblements à venir : renforcer la banderole de tête pour en faire un bouclier, renvoyer les grenades lacrymogènes ou rester soudés pour défendre et attaquer. Ces lignes ont poussé la police judiciaire à ouvrir une enquête au lendemain de la publication de l’article le 1er mars dernier.

« Attaque contre la liberté d’expression »

Dans l’air lourd de ce début d’après-midi et la fumée du barbecue installé pour l’occasion, les mines sont graves. « Le texte en soi n’est pas intéressant », souffle Nadia qui attend le début de l’audience. « Mais pourquoi n’aurions-nous pas le droit d’en parler ? » Elle qui réalise quotidiennement une émission sur l’actualité des luttes pour une radio associative parisienne estime que ce sont les médias libres qui sont attaqués : « Nous allons sur des terrains où les médias institutionnels ne se déplacent pas. Nous donnons la parole à ceux qui ne l’ont pas C’est notre rôle pour réfléchir à la transformation du monde », s’exclame-t-elle. Un attroupement se forme autour d’une buvette informelle pour patienter. Dans quelques minutes, « 1 74 09 99 » sera jugé dans le tribunal de grande instance. « De toute façon c’est une procédure sans queue ni tête », conclut Nadia en sirotant un pastis bio.

Repérant une adresse IP utilisée il y a un an et demi pour le renouvellement du nom de domaine internet de la plateforme participative, les policiers ont arrêté un Toulousain le 6 mai dernier à l’aube pour le placer en garde à vue. Le quadragénaire est soupçonné d’être le directeur de publication du site qui peut répondre au chef d’accusation de provocation publique aux crimes et aux délits. « Mais la loi de 1881 sur la liberté de la presse est faite pour les médias ’hiérarchisés’.C’est en quelque sorte un choc des cultures avec ce site internet participatif », remarque Raphaël Kempf, l’un des avocats de « 1 74 09 99 », qui pointe une attaque contre la liberté d’expression dans le contexte des manifestations anti-Sivens, réprimées très violemment.

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Une soixantaine de personnes se sont réunies pour soutenir « 1 74 09 99 ». Celui-ci encourait cinq ans d’emprisonnement et 40 000 euros d’amende.

« Ce fut court, mais ce fut intense »

Des grappes de personnes prennent place dans la petite salle d’audience. « Nous allons examiner plusieurs affaires de presse », annonce le Président du Tribunal. « 1 74 09 99 », qui ne s’était pas encore fait connaitre, s’approche de la barre, entouré de ses deux conseillers. S’ensuit une audience éclair d’une hallucinante absurdité quand l’on apprend que le parquet abandonne les poursuites : « J’abdique à la nullité de la citation », précise le procureur d’une voix haut perchée qui provoque un rire généralisé. « Ce fut court, mais ce fut intense », s’écrie un avocat présent aux cheveux blancs. La moitié de la salle, éberluée, se dirige vers la sortie.

« Mais est-on sûr qu’il ne sera pas inquiété ? » s’empresse de demander le comité de soutien. Les deux avocats affichent de grands sourires : « Le parquet a pris connaissance de nos conclusions où nous estimions que les motifs du chef d’accusation n’étaient pas assez caractérisés », explique d’un ton pédagogue Maître Jennifer Cambla. La procédure contre IAATAdevrait s’arrêter là. « C’est rare et c’est une victoire », renchérit son confrère.

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De gauche à droite : le procureur Francis Boyer, les avocats Jennifer Cambla et Raphaël Kempf

« 1 74 09 99 » est entouré d’une poignée de personnes. S’il a comparu pour quelques secondes à visage découvert, il souhaite rester anonyme. « Je ne veux pas me personnifier. Ce n’est pas moi qui est attaqué, c’est un état d’esprit. Toute cette affaire ressemble à une fin de manif’ quand il y a des vitres cassées, on t’attrape et on t’inculpe. »

Devant le tribunal, les soutiens sont toujours présents. « Le dossier était creux. Mais si ça avait été quelqu’un d’isolé ça aurait été un carnage », poursuit-il en rangeant avec les autres les enceintes et les décorations. Paul qui a fait le déplacement avoue que « c’est une bonne surprise, mais c’est une procédure abusive ». Assis sur les allées, faisant face au Palais de Justice, Georges regarde les manifestants partir un à un : « Tout ça, c’est pour nous mettre une pression constante, pour nous empêcher de critiquer la police alors qu’elle emploie des moyens démesurés. » La banderole noire et rouge est décrochée. « 1 74 09 99 » rentre chez lui, innocent.


Complément d’information : Comme de nombreux médias alternatifs, Reporterre avait apporté son soutien à IAATA dans cette circonstance où la liberté d’informer et de partager les opinions étaient en cause. Nous nous réjouissons de sa conclusion.


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Source et photos : Marine Vlahovic pour Reporterre

L’article original est accessible ici