Par Réjane Ereau

Notre civilisation est en crise. Économique, financière, écologique, sociale, morale… Le monde marche sur la tête. Beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que tout est à revoir. Et si c’était l’opportunité de faire émerger d’autres fondements, plus spirituels ? Quand les politiques méditeront chaque matin… Grand format.

Imaginez la règle d’or Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse inscrite sur le fronton de l’Elysée, et les accords toltèques sur celui de Matignon. Imaginez que chaque conseil des ministres commence par trente minutes de méditation. Que tout responsable politique, avant sa prise de fonction, doive participer à un séminaire sur la « pleine conscience » ou la psychologie positive. Puis qu’il soit obligé de suivre annuellement une retraite ou une initiation spirituelle, et de s’impliquer comme bénévole dans une action sociale. Impossible, direz-vous, ces gens sont débordés.

« J’ai beaucoup de travail, il faut que je prie une heure de plus », rétorquait Martin Luther King. Car prendre le temps de se recentrer sur son intériorité, de se distancier un moment du flux incessant des activités, surtout quand on exerce des responsabilités, n’a rien de superflu. Pas juste pour aborder les événements avec plus de sérénité, afin d’être moins stressé donc plus productif, mais parce que ces pratiques, neurosciences à l’appui, rendent plus solide, plus clairvoyant, plus créatif. Mieux : petit à petit, elles nous font ressentir notre lien intrinsèque au vivant, ainsi que l’harmonie – et la responsabilité – qui en résultent. Pas du luxe, dans une société dominée par l’envie d’avoir et de pouvoir, la lutte des ego, les postures et le clientélisme.

 

Crise de sens
Ce n’est pas un scoop : notre civilisation est en crise. Matérialiste, emballée par le « toujours plus, toujours plus vite », elle marche sur la tête. Qui n’a jamais eu l’impression d’être un pion dans un système aussi absurde que cynique ? Qui n’a pas été révolté en regardant des documentaires sur l’état du globe ? Qui n’a jamais eu le sentiment de vivre hors sol, mécaniquement, en passant à côté de l’essentiel ? « Tout s’achète, tout se consomme, tout se périme. L’ensemble du monde est gouverné par la peur et la cupidité. Le progrès n’est attaché qu’au seul bénéfice du conditionnement matériel », se désolent le Dalai Lama et l’ancien résistant et diplomate Stéphane Hessel dans Déclarons la paix. « Alors que nous pensons consommer les plaisirs de ce monde, ce sont eux qui nous consomment et nous consument. Ils nous coupent de la conscience de nos besoins essentiels, ceux qui nous donnent une joie durable lorsqu’ils sont assouvis », ajoute Pierre Rabhi, précurseur de l’agriculture biologique, fondateur du mouvement Colibris.
A force de jouer le jeu d’un système qui nous aliène et exploite le monde comme une marchandise, on en a perdu le sens. Quand on essaie de dénouer le fil, on se rend compte que tout est imbriqué. Les déséquilibres sont profonds. Voire existentiels, puisqu’ils menacent la vie même de notre planète et nous interroge sur ce à quoi on participe. « L’avidité de notre société est liée à un manque », commente Alain Chevillat, fondateur de l’association Terre du Ciel. « Coupé de son intériorité, de son lien au vivant, l’homme a perdu le sens et l’unité de la vie. Il ne peut être en plénitude. »
« Le paradoxe d’Easterlin établit scientifiquement qu’à partir d’un certain niveau de PIB, sa hausse ne fait plus le bonheur », explique Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza, think-tank consacré au bien-être citoyen. Au-delà d’un seuil, tout ajout de richesse financière expose même à l’angoisse et la dépression, renforce l’individualisme et rend moins heureux. La courbe de consommation des antidépresseurs ne progresse-t-elle pas dans plusieurs pays d’Europe au même rythme que celle du PIB ? « Nous ne savons pas nous contenter de ce que nous avons, parce que d’autres ont davantage. »
Conscients du malaise, beaucoup se tournent vers le développement personnel. Un outil précieux pour mieux se connaître, trouver en soi davantage de sérénité, de force et de joie. « Loin d’être égoïste, ce travail conduit nécessairement à une amélioration de la qualité de nos relations avec les autres et avec le monde », estime le philosophe, sociologue et historien des religions Frédéric Lenoir. « Et nous souhaitons pour le monde ce que nous nous souhaitons à nous-mêmes de meilleur : la paix et l’harmonie. » Alexandre Jost confirme : « Les dernières études montrent qu’au-delà du sentiment de plaisir et de satisfaction, le bonheur réside dans notre relation à quelque chose de plus vaste que nous – les autres, le monde, ou toute autre transcendance ». Le bonheur, « cette résonance intérieure en harmonie avec le règlement de l’univers », selon Pierre Rabhi…

 

Manifeste pour la Terre et l’humanisme, Pierre Rabhi
Actes Sud (Octobre 2008 ; 124 pages)

Déclarons la paix !, Stéphane Hessel, Dalaï-Lama
Editions Indigènes (Avril 2012 ; 48 pages)

Une nouvelle conscience pour un monde en crise, Jeremy Rifkin
Editions Les liens qui libèrent (Avril 2011 ; 656 pages)

La guérison du monde, Frédéric Lenoir
Editions Fayard (Octobre 2012 ; 300 pages)

L’article original est accessible ici