Les langues maternelles, autres que la langue officielle, souffrent encore de représentations négatives. Le rouleau compresseur de la globalisation renforce la discrimination de ces langues dites minoritaires et parfois appelées dialecte ou patois. Différentes initiatives tentent de leur redonner un statut. Parmi elles, les ouvrages de Roger Bellnoun-Momha valorisent la langue bassa.

L’auteur franco-camerounais Roger Bellnoun-Momha est mort en février 2014. Il avait laissé la direction de son entreprise depuis de nombreuses années, suite à un accident vasculaire cérébral. Cet accident lui avait permis de réaliser l’un de ses rêves grâce à cette retraite anticipée : publier des ouvrages sur sa langue maternelle, le bassa. Tout comme pour son frère Yves Hongla-Momha, auteur de « Déontologie de l’administration africaine » (1) , ses ouvrages ont été publiés par L’harmattan.

« Son Dictionnaire Bassa/Français propose une approche linguistique nouvelle et son Proverbes et expressions bassa est un outil véritablement indispensable pour l’apprentissage et la maîtrise de la langue bassa », selon son éditeur français. Le bassa est une langue du groupe Bantou, elle est utilisée par quelque 800.000 personnes (soient 5% de la population camerounaise) et constitue l’une des 200 langues du Cameroun. Pourtant, le faible nombre de locuteurs laisserait penser que ces publications sont de peu d’importance. Un patois parmi tant d’autres, serait-on tenté de dire, comme les Bassa l’appellent parfois eux-mêmes.

Langue vernaculaire, régionale ou minoritaire et  même patois, sont les termes habituellement utilisés. Quand ce n’est pas le terme impropre de dialecte. Un dialecte est une variante locale d’une langue. Or ce terme est couramment utilisé pour des langues sans aucun rapport entre elles. En effet, des langues parlées sur un même territoire n’ont parfois aucun lien, comme par exemple le gallo, langue latine et le breton, langue celtique, parlées en Bretagne, région de l’ouest de la France. (2)

Le terme français de « patois » a une connotation péjorative qui ne doit rien au hasard et tout à une politique d’éradication des langues régionales au profit du français, politique qui a été poursuivie pendant tout le 19ème siècle. En Bretagne, on évoque encore l’Abbé Grégoire et son Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française. (3) « les autorités voulurent faire croire aux Français parlant une langue autre que le français que leur langue n’en était pas une, qu’elle n’était qu’une déformation locale de la langue française ».

Le terme de langue minoritaire tend aussi à rabaisser la culture dont elle est issue. Le français et l’anglais sont les langues officielles du Cameroun, c’est-à-dire politiquement majoritaires. Mais nombre de Camerounais ne peuvent pas exprimer la complexité de leurs pensées dans ces langues : c’est le cas des plus âgés ou encore des populations (en faible nombre) non-scolarisées. Avec ce point de vue de « minoritaire », le critère politique semble s’immiscer dans des domaines où il n’est d’aucune utilité : les domaines de la linguistique et ceux des sciences humaines.

Dans les années 1970, les intellectuels africains, conscients de l’importance de leur patrimoine, ont fondé le Centre d’Études Linguistiques et Historiques par Tradition Orale (CELHTO), rattaché à l’Organisation de l’Unité Africaine. Cependant, la base de données de leur site, liste 2000 ouvrages tandis que le catalogue de la maison d’Éditions française L’harmattan contient, à lui seul, 7000 ouvrages sur l’Afrique.

En France, au niveau local, des associations promeuvent les langues maternelles étrangères ou régionales au sein des organismes dédiés à l’enfance et à la petite enfance. L’expérience de terrain de l’association Dulala (D’une langue à l’autre), l’une d’entre elles, montre que la discrimination des langues autres que la langue nationale constitue encore une lutte d’actualité. Et cela même à l’intérieur des familles, où les préjugés sur les langues maternelles sont encore bien vivants. L’éducation nationale tente aussi de remédier à ses habitudes de discrimination linguistique, mais ces pratiques ne sont encore pas vraiment à la hauteur de ses espérances.

Pourtant, les langues maternelles font partie intégrante de l’identité des personnes. Les éradiquer ou vouloir en limiter la pratique porte atteinte à l’intégrité des personnes.

NOTES

(1) :  titre originel changé par l’éditeur : Déontologie de l’administration. C’est à dire que l’auteur ne s’adressait pas uniquement aux africains. Préfet de région au Cameroun, il a étudié l’administration en France.

(2) : lire à ce sujet le passionnant ouvrage de vulgarisation linguistique de Michel Malherbe : « les langages de l’humanité ».

(3) : télécharger le rapport sur le site de wikipédia : Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française.