Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les vainqueurs ont attribué au régime nazi la responsabilité du déclenchement de celle-ci ainsi que celle des crimes massifs commis au nom de l’idéologie nationale-socialiste. La nation allemande a dû s’excuser pour les atrocités perpétrées par ses ressortissants à travers toute l’Europe. La question des origines allemandes du Nazisme a soulevé de nombreux débats. Mais n’y a-t-il pas dans la naissance de celui-ci une responsabilité plus large partagée par la culture européenne de l’époque ? Et si c’est le cas, en avons-nous tiré toutes les conséquences pour le présent et l’avenir ?

 Au cours des années 20, le sentiment d’humiliation lié à la défaite de 1918, le sentiment d’injustice à l’égard des clauses du traité de Versailles imposé par les vainqueurs, ravivé par l’occupation de la Ruhr entre 1923 et 1925, alimentent le ressentiment de la population allemande à l’égard des pays victorieux de la première guerre mondiale. Après une décennie d’effort, le pays, dont l’économie s’est redressée, est frappé de plein fouet par la crise économique mondiale consécutive au krach de Wall Street d’octobre 1929. La misère à laquelle est alors confrontée une grande partie de la population allemande plonge celle-ci dans un intense désarroi qui va être exploité par Hitler et le parti national-socialiste (ou Nazi selon l’acronyme allemand). Rappelons quelques éléments de l’idéologie de ce parti : racisme exacerbé, culte de la violence, antisémitisme et anticommunisme virulents, éléments que l’on retrouve dans d’autres partis d’extrême-droite de l’époque. On sait que l’application des « théories » nazies conduit, dès avant le déclenchement de la guerre, au nom de la « protection de la race aryenne », à l’extermination des malades mentaux allemands et à la discrimination légalisée de la population d’ascendance juive. Au cours de la seconde guerre mondiale, la population juive européenne est au deux tiers exterminée, ainsi que celle des Tziganes. En Pologne, en Yougoslavie, en URSS, les populations slaves, considérées par les nazis comme des races de « sous-hommes » sont victimes de massacres à très grande échelle faisant des millions de victimes.

 Au procès de Nuremberg, la justice des vainqueurs a condamné les principaux responsables et organisateurs de ces crimes de masse. Mais la vision de l’humanité divisée en races était-elle une spécificité allemande ? L’Europe de l’époque auquel il faut ajouter les États-Unis puis le Japon, partageait alors, et ce depuis la deuxième moitié du XIXème siècle, une vision du monde dans laquelle l’humanité était divisée en races, hiérarchisées entre elles et au sommet desquelles trônait la race « blanche ». Au nom de cette idéologie un Européen se sentait supérieur à un Africain, un Asiatique, un Amérindien, etc. Il pensait avoir des droits légitimes sur celui-ci et en premier lieu le droit de le dominer. Cela permettait de justifier l’existence des empires coloniaux. Rappelons qu’à cette époque la quasi-totalité de l’Afrique, et la plus grande partie de l’Asie (à l’exception de la Chine et de quelques autres états) étaient sous tutelle coloniale européenne, américaine ou japonaise. Le grand poète et militant anticolonialiste martiniquais Aimé Césaire écrivait avec ironie que ce qui choquait le plus l’Européen de son temps dans les crimes nazis était que les Nazis avaient appliqué aux Européens la vision du monde divisé en races que ces derniers appliquaient eux-mêmes au reste de l’humanité. Peut-être pourrait-on dire alors que l’idéologie nazie a été une interprétation « radicale » du racisme « ordinaire » européen.

 Pourtant jamais aucun état européen, notamment parmi les puissances coloniales, pas plus que les Etats-Unis ou le Japon (qui avait repris à son compte la vision d’un monde divisé en races et hiérarchisé mais en plaçant à son sommet…la race nippone) n’ont exprimé le moindre regret et encore moins la moindre excuse à l’égard des peuples et des nations qui ont souffert de cette vision de l’humanité. Sous toutes les latitudes, la « naturalisation » de l’Autre a précédé sa chosification. Les générations qui ont été éduquées depuis la fin du XIXème siècle jusqu’aux années cinquante inclus du XXème siècle ont été imprégnées de ces idées funestes de « races », de « hiérarchie naturelle », etc. qui incarnaient l’antithèse de l’humanisme occidental. Les états anciennement colonisateurs n’ont jamais officiellement démenti cette vision de l’homme même si des discours ont été bannis les termes précédemment cités. Même si, fort heureusement, on n’y enseigne plus aux enfants la vision de l’humanité divisée en races, on n’en explique pas pour autant ce que fut cette idéologie et ce qu’elle a engendré. On peut en ressentir les conséquences aujourd’hui : ainsi peut-on en partie expliquer les réactions de méfiance, de peur, de rejet à l’égard de l’Autre, le non-européen, le non-Blanc qui se manifestent encore aujourd’hui à l’égard par exemple des diverses populations d’origine africaine ou asiatique immigrées en Europe.

 Depuis 2008, une crise économique et sociale sans précédent depuis celle des années 30 ravage l’Europe. Ses causes présentent de nombreuses similitudes avec celles qui ont provoqué la Grande Dépression et conduit à la prise du pouvoir par Hitler. Comme hier, alors que grandissent la désespérance sociale et la désorientation, la xénophobie est attisée et instrumentalisée par des partis politiques d’extrême-droite dans de nombreux états européens. Pendant ce temps, les discours officiels aiment mettre en avant les grandes notions comme la « Démocratie » ou les « Droits de l’Homme » présentées comme les « valeurs occidentales » par définition. Il serait plus que temps que les Etats Occidentaux regardent en face leur passé. Cela inclut d’assumer le fait qu’il existe une part d’antihumanisme portée par la culture occidentale depuis des siècles. Il faut s’interroger sur pourquoi, alors qu’il prétend défendre les valeurs humaines élevées, l’Occident a engendré tellement d’injustices, de guerres, de génocides. S’il n’est bien sûr pas question de réduire la culture occidentale à ces pensées, idéologies et doctrines qui ont dégradé la vision de l’être humain, on ne pourra faire l’économie de ce travail si l’on veut comprendre là où en est le monde occidental aujourd’hui et là où il a conduit et continue en grande partie de conduire l’Humanité. Les intellectuels, les journalistes, mais avant tout les responsables politiques devraient prendre cette responsabilité.