Plutôt que par des défilés et des bris de vitrines, une cinquantaine de personnes ont choisi d’exprimer pacifiquement leur colère en installant un campement au centre de Rouen. Ils y ont passé la nuit, et créent la première Zad urbaine du pays.

par Emmanuel Daniel


- Rouen, témoignage

A Rouen, les manifestations en hommage à Rémi Fraisse, mort sur la ZAD du Testet, ont pris mardi soir 4 novembre un tournant original. Le rassemblement a commencé de manière assez classique. Bougies à la main, près de trois cents personnes ont marché de l’Hôtel de ville jusqu’au Palais de justice.

Mais peu avant l’arrivée, les organisateurs officiels se font dépasser par les événements. Une vingtaine de personnes s’extraient du cortège, sortent des palettes d’un camion et commencent à édifier une cabane sur la place où devaient se tenir les interventions. Malgré les appels au micro répétés depuis le camion de tête, la plupart des manifestants délaissent les organisateurs et se regroupent près de cette surprenante construction. En quelques minutes, la morose place du Palais de Justice se transforme en mini village alternatif. Pendant que l’assemblage des murs et la pose du toit avance, des textes sont lus au mégaphone. Au bout d’une quinzaine de minutes, une cantine populaire à prix libre, servant d’abord de la soupe chaude, puis des tartes, des gâteaux, du thé et du café s’organise.

Assis en cercle les manifestants discutent de la suite à donner à leur action. Rapidement, l’idée d’une occupation de place émerge. A la question : « Qui est prêt à passer la nuit ici ? », une trentaine de mains se lèvent. Au final, ce seront plus de cinquante personnes qui dormiront sur place.

Rythmant cette veillée militante et festive, des véhicules déposent du matériel de construction et de camping, un réchaud à bois, de la nourriture et de quoi la faire chauffer. La pluie qui tombera quasiment toute la nuit ne refroidit pas les ardeurs.

Dans un joyeux brouhaha de coups de marteaux, de discussions animées et d’airs de guitare, deux nouvelles cabanes viennent s’ajouter à la première ainsi qu’un salon couvert avec canapé et tables. Les fourgons de police garés dans les rues adjacentes ne réagissent pas.

Vers 2 heures du matin, un texte d’appel, tentative de synthèse des différentes sensibilités politiques présentes sur place, est validé en assemblée. Dans la foulée, une série d’ateliers, de débats et de projections (construire des toilettes sèches, démystifier l’anarchie, village enfant…), préparées en petit groupes, sont annoncés.

Au petit matin, le campement se réveille sans que la police ne se soit manifestée. Ceux qui ont veillé toute la nuit sont relayés par d’autres. Car la journée s’annonce chargée.

Même s’ils ne présentent pas de revendications précises et partagées par tous, les occupant(e)s manifestent une même envie d’exprimer leur colère autrement que par des défilés ou des bris de vitrines. Ils affirment également leur attachement « à toutes les ZAD, à tous les lieux où ceux qui vivent ensemble se réapproprient leur vie » et comptent bien faire de la place du Palais de Justice un espace d’échange et de vie horizontal et autogéré, à l’image des campements d’Indignés ou d’Occupy.

Personne ne peut dire quelle orientations prendra ce mouvement s’il n’est pas tué dans l’œuf par la police. Il ne sera que la somme des énergies, des idées et des envies que chacun(e) sera disposé(e) à y mettre. C’est pourquoi le texte d’appel invite les Rouennai(se)s à rejoindre la place et encourage d’autres actions de ce type un peu partout en France.


Source et photos : Emmanuel Daniel pour Reporterre.

Emmanuel a choisi de suivre ce mouvement, non en tant que journaliste ayant un regard distancié sur l’événement, mais en tant que personne qui y est engagée.