Depuis 40 ans, des coopératives alimentaires se développent à New York et Londres. Un modèle transposable à Paris? C’est en tout cas l’opinion de Tom Boothe et Brian Horihan, les co-fondateurs de La Louve, la coopérative parisienne basée sur l’auto-gestion entre particuliers. Rencontre. 

Park Slope Food Coop (PSFC) est une coopérative alimentaire située dans le quartier Park Slope de Brooklyn à New York. Elle est l’une des plus anciennes et importantes coopératives active aux États-Unis. Le modèle économique PSFC exige de chacun de ses membres adultes de contribuer 2 heures et 45 minutes de travail toutes les quatre semaines. En échange, les membres actifs peuvent s’approvisionner à la boutique. Les non-membres sont invités à visiter le magasin, mais ne peuvent rien acheter. De nombreuses initiatives similaires ont ainsi vu le jour comme le désormais célèbre The People’s Supermarket de Londres (même si ce dernier n’oblige pas le travail volontaire, il est également possible d’acheter les produits plus chers).

Le magasin vend une variété d’aliments et d’articles ménagers respectueux de l’environnement (mais pas que: ils respectent également une éthique et un cahier des charges définit par les membres). La coopérative opère une majoration de 21% (par rapport à 26-100% dans un supermarché). Ces économies sont possibles parce que 75% du travail est apporté par ses membres. Cela en fait le « supermarché » le plus qualitatif et le plus économique de Brooklyn. Depuis 1973.

D’OÙ VIENT LE PROJET DE LANCER CE TYPE DE COOPÉRATIVE À PARIS ET COMBIEN DE TEMPS AVEZ-VOUS DÉJÀ PASSÉ SUR CE PROJET?

On a découvert la PSFC il y a 5 ans.

Entrer dans le magasin a été comme aller dans un pays étranger, les gens n’attrapent pas les articles comme ils le feraient dans un supermarché classique. Ils ne sont plus des consommateurs. Ils sont plus agressifs, au sens positif du terme, car ils se sentent chez eux. Aller à la PSFC, c’est aussi un acte citoyen.

Cela fait quatre ans que nous avons débarqué à Paris. Cela a pris du temps car c’est un projet à grande échelle: plusieurs milliers de membres sont attendus.

Nous avons d’abord travaillé sur le reportage sur la PSFC que nous avons traduit (voir la vidéo ci-dessous), puis nous avons passé deux à trois ans à consulter des avocats et des juristes pour avoir leur avis sur la viabilité et la forme juridique du projet.

En effet, l’un des enjeux du projet est que nous allons obliger le travail bénévole, ce qui est ni légal, ni illégal en France. D’un côté, un tel modèle existe déjà (crèches parentales), d’un autre côté, l’URSSAF va effectuer des contrôles et sanctionner ces organisations pour travail dissimulé.

L’idée pour l’instant est d’opérer sous forme d’une association. Le projet a été présenté aux élus et il a particulièrement bien été reçu par la mairie du 18e. Cela nous a d’ailleurs beaucoup étonné: en France le soutien des pouvoirs publics locaux est largement supérieur à celui des Etats-Unis qui vont plutôt soutenir la grande distribution présente localement.

COMMENT ÉVOLUE LE NOMBRE DE MEMBRES À NEW-YORK ?

PSFC existe depuis les 70s, les gens ont toujours vécu avec la coopérative. On constate tout de même une augmentation en flèche des demandes d’adhésion depuis 2008… Donc depuis la “crise” finalement. Le nombre de réunions d’orientation (auxquelles il faut assister pour devenir membre) a été réduit afin de limiter les nouvelles adhésions (il y  en avait trois par semaine avant).

Au cours de ces dix dernières années, six à sept nouvelles coopératives ont été créées à New York selon deux modèles principaux : le modèle PSFC et le modèle ouvert à tous (avec prix plus chers). Les coopératives suivant le modèle PSFC fonctionnent le mieux. La PSFC a utilisé ses bénéfices pour créer et alimenter un fonds de financement de nouvelles coopératives aux Etats-Unis. Un peu d’aide est apportée également aux coopératives à l’étranger.

Crédit photo: Spencer Ritenour

QU’EST CE QUI DIFFÉRENCIE PSFC DES AUTRES COOPÉRATIVES ET QUI EXPLIQUE UN TEL SUCCÈS?

Les coopératives sont des projets fragiles par définition (portés par des personnes qui y consacrent un temps partiel), ce sont des projets citoyens, et certaines coopératives ont par exemple commandé trop de produits et/ou trop de produits « originaux » sans vraiment s’assurer que ceux-ci se vendront ou seront suffisamment populaires auprès des membres.

PSFC est par principe pragmatique: si un juriste devient membre, il va aider la coopérative grâce à ses talents de juriste. Cette culture a été présente dès le début du projet et en a définit ses contours.

L’emplacement pourrait aussi expliquer le succès : Brooklyn ressemblait beaucoup à l’union soviétique dans les années 70, mais dans l’esprit « on sait pas si c’est socialiste on veux juste bien manger ».

Ce modèle ne fonctionne qu’en “one stop shopping”: lorsqu’il propose tout ou presque tout ce qui est nécessaire (les gens ne vont pas travailler bénévolement juste pour acheter de la mayonnaise pas cher).

A PSFC on retrouve des gens qui aiment la nourriture, qui aiment manger. Ce qui n’est pas toujours la même chose que les gens qui aiment uniquement le bio. A la coopérative, il n’y a pas d’ambiance « aliment médicament ». Le but éthique et le but esthétique s’y rejoignent. Cependant ce n’est pas toujours le cas (un vin bio peut être par exemple très mauvais: ce qui insupporte Tom, œnologue de profession).

La coopérative veille également à proposer des aliments « péchés » (par exemple les bonbons): il faut qu’elle puisse réunir le “manger bien” et le “manger gourmand”. Sans pour autant déroger à certains critères: à la PSFC les colorants sont par exemple interdits. C’est à la masse (aux personnes) de fixer ce genre de règles de manière organique (si cela fonctionne, la règle est généralisée, sinon elle est abandonnée). C’est la même chose pour ce qui est des règles régissant le travail des membres. Quelques exemples:

  • Il faut choisir un créneau à l’inscription (choix parfois imposé). Si on sèche, il faut faire deux services de rattrapage.
  • Tout travail effectué à la coopérative est rarement effectué seul (ce qui permet d’être sûr que les membres réalisent bien leur travail). De plus, un membre voyant un autre ne pas travailler va naturellement lui faire des remontrances :)

C’est un modèle à la fois idéaliste et pragmatique.

Crédit photo: Spencer Ritenour

ET CÔTÉ FRANÇAIS, EST-ON PRÊT À SE LEVER À 5H DU MATIN POUR TRAVAILLER BÉNÉVOLEMENT?

Certains oui, d’autres non: on ne sait pas. Ce que l’on sait c’est que quelques milliers de personnes suffisent. Cette méfiance existait déjà aux Etats-Unis et c’est finalement à 5h du matin que l’ambiance est la plus géniale!

VOUS N’AVEZ PAS ENCORE DE LIEU, MAIS VOTRE COMMUNAUTÉ EXISTE DÉJÀ, EST-CE EXACT?

En effet, nous avons créé un groupement d’achat afin d‘acheter tous les mois des produits non périssables à Bagnolet (vin, thé, abricot/figues café, bière, pates / riz, confitures, terrines etc). Il n’y a pas encore de grande baisse de prix car les volume commandés ne sont pas encore suffisamment élevés, mais cela correspond déjà à une différence de 20 à 45% par rapport aux produits bios équivalents chez Naturalia ou Monoprix . Quelques exemples: 1 litre d’huile d’olive bio = 7 euros, 1 bouteille de rouge bio = 4 euros 65.

Nous avons plusieurs pistes concernant le futur lieu et nous attendons des réponses finales d’ici peu de temps!

UNE DERNIÈRE QUESTION: D’OÙ VIENT LE NOM « LA LOUVE » ?

Dans Paris il y avait historiquement (dès la fin du XIXè siècle) des dizaines de coopératives qui avaient souvent des noms d’animaux. Le nom a été voté au sein de la coopérative dans cet esprit de tradition. Il évoque un instinct protecteur, indépendant et maternel.

ENVIE DE PLUS D’INFORMATIONS?

La Louve fête l’ouverture d’une campagne de souscriptions avec une journée portes ouvertes le 29 novembre dans notre local provisoire au 61 rue de la Goutte-d’Or dans le 18e.

Plus d’infos :

www.cooplalouve.fr

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Source : http://magazine.ouishare.net/fr/2013/04/coop-la-louve-interview/

L’article original est accessible ici