Par Tessa Love

Un an après que le soulèvement de ‘Gezi Park’ – une protestation qui a commencé comme un acte visant à sauver les arbres – a dégénéré en des émeutes anti-gouvernementales à travers le pays, provoquant des efforts communautaires cohésifs pour lutter contre l’expansion urbaine, le visage de l’activisme et la sensibilisation sur l’environnement en Turquie a changé.

« Ce n’est pas un hasard que les manifestations aient été provoquées par un problème écologique, par des préoccupations de développement urbain », a déclaré Morat Ozbank, un maître-assistant de la théorie politique à l’Université Bigli et membre du conseil du Parti vert turc. « Et cela est devenu plus tard un problème de droits humains et de démocratisation ».

A 23 heures le 27 mai 2013, des bulldozers sont entrés dans le ‘Gezi Park’ – l’un des derniers espaces verts du district de Beyoğlu d’Istanbul et une « oasis » sur la place Taksim, une grande place de pierre d’un espace essentiellement ouvert avec quelques statues, des fontaines et des entrées vers les stations de métro. Ils étaient là pour enlever les arbres pour la construction controversée d’un centre commercial de style de l’époque ottomane.

En 20 minutes, des foules de gens ont rempli le parc pour bloquer la construction, et elles sont restées pendant 20 jours avant d’être chassées par la police.

Le centre commercial proposé était juste l’un des nombreux grands projets menés par le président turc, Recep Tayyip Erdogan. D’autres projets comprennent un troisième pont sur le Bosphore, un tunnel destiné aux véhicules privés sous le même cours d’eau, le plus grand aéroport au monde, et un second Bosphore sur le côté asiatique de la ville.

Beaucoup de ces projets sont menés malgré l’opposition des organismes tels que l’Union des chambres d’ingénieurs et d’architectes turcs (TMMOB), qui est chargée d’évaluer l’impact potentiel des projets proposés et de déconseiller ceux qui pourraient être préjudiciables à l’environnement.

Selon Akif Burak Atlar, secrétaire du conseil de la Chambre des urbanistes de Turquie, tous ces projets correspondent à cette description.

« Ces grands projets sont désastreux pour Istanbul », dit-il. « Tout le développement nuit à quelque chose. L’urbanisation est une profession rationnelle, mais le gouvernement n’écoute pas ce raisonnement. Ils prennent nos espaces publics et les vendent pour la construction ».

Atlar croit que chaque quartier à Istanbul devrait légalement disposer d’un certain nombre d’espaces verts pour respecter les normes d’urbanisme. Cependant, les parcs publics sont en train d’être détruits et, au-delà des limites de la ville, des kilomètres de forêts sauvages ont été détruites pour faire place au troisième pont et au second Bosphore.

Bien que tous ces projets aient suscité des tollés de la part de diverses petites organisations et une action juridique de la part de la TMMOB avant mai 2013, rien n’a approché la réponse à ‘Gezi Park’.

« Gezi était un moment unique dans l’histoire turque », indique Atlar. « Il n’y avait pas de leader, pas une organisation formelle. C’était une prise de conscience ».

Un an plus tard, ce mouvement est toujours vivant et bien que les politiques en matière d’urbanisme n’aient pas changé au niveau gouvernemental, les organisations à la base ont uni leurs forces dans l’espoir d’opérer des changements là où elles peuvent.

L’une d’entre elles – La Défense des forêts du nord – est un mouvement organisé par des bénévoles libres pour défendre les dernières forêts du nord d’Istanbul. Baptisé « Les enfants de Gezi », il œuvre à stopper le développement de grands projets comme le troisième pont, et travaille également au sein des petites communautés pour arrêter la destruction des parcs publics pour le développement.

Bien que bon nombre de ces efforts soient petits, Cigdem Cidamli, l’un des membres fondateurs de l’organisation, estime qu’ils sont essentiels pour le progrès de la défense urbaine. « Les petits mouvements ne peuvent pas changer autant que les grands mouvements », déclare-t-elle, « mais nous ne pouvons pas avoir de grands mouvements sans les petits. Alors, nous essayons maintenant de créer des canaux plus intégrés de la solidarité ».

Cidamli, Atlar et Ozbank conviennent tous que l’intégration des organisations est la réalisation la plus reconnaissable de Gezi jusque-là. Beaucoup de quartiers ont maintenant un groupe urbain de défense pour discuter d’une gamme variée de questions comprenant le développement urbain.

Bon nombre de ces groupes se sont réunis pour former de grandes organisations telles que Solidarité Taksim, la Défense urbaine d’Istanbul et la Défense des forêts du nord.

Caferaga Dayanismasi, un petit groupe, est un collectif dans le quartier Kadikoy qui organise des réunions et des mouvements activistes à partir d’un « squat » – un bâtiment abandonné que des membres ont occupé et rénovent.

Bahadir, un membre du squat, affirme que la meilleure chose qu’ils ont faite en tant que groupe, c’est d’avoir occupé et exploité un terrain vide qui allait être transformé en parking. Maintenant, c’est un jardin potager communautaire où les voisins, jeunes et vieux, se salissent les mains.

Cidamli est reconnaissante envers Gezi pour ce développement. « Après Gezi, les gens cherchent à créer la solidarité par de petites manières », souligne-t-elle. « Nous ne pouvons pas avoir Gezi tous les jours. Alors nous cultivons plutôt des tomates ».

Avec cette intensification de l’activisme communautaire, Bahadir affirme que la ville ne peut pas abattre un seul arbre sans provoquer une protestation.

Mais jusqu’à présent, le seul développement majeur qui ait été arrêté avec succès est le centre commercial de Gezi.

« Ce qui est drôle, c’est qu’ils ne peuvent rien faire sur la place Taksim maintenant », déclare Ozbank avec sourire. « Ils ne peuvent pas toucher à quoi que ce soit… même pas pour embellir l’endroit ».