Crédits Photo Télam

Les élections du 12 octobre prochain devraient voir sans surprise la réélection du président sortant, Evo Morales Ayma, avec une large avance sur son opposant principal, l’homme d’affaires Samuel Doria Medina, le Capriles bolivien, soutenu par l’élite conservatrice et les Etats-Unis. Pourtant, rien ne prédestinait cet éleveur de coca à un tel destin…

Depuis 1998 et l’élection d’Hugo Chavez à la tête du Vénézuéla, l’Amérique Latine a entamé un cycle de révolutions démocratiques qui ont balayé les derniers vestiges mortifères du néolibéralisme.

Du Nicaragua à l’Argentine en passant par L’Equateur, des politiques économiques et sociales ambitieuses ont permis aux classes populaires de retrouver leur dignité.

Et parmi ces pays, la Bolivie fait office de nation pionnière en termes de réduction de la pauvreté, de lutte contre l’analphabétisme ou encore d’indépendance économique.

Les élections du 12 octobre prochain devraient voir sans surprise la réélection du président sortant, Evo Morales Ayma, avec une large avance sur son opposant principal, l’homme d’affaires Samuel Doria Medina, le Capriles bolivien, soutenu par l’élite conservatrice et les Etats-Unis.

Pourtant, rien ne prédestinait cet éleveur de coca à un tel destin…

Le peuple bolivien, en grande majorité composé de Métis et d’Indiens, a vécu depuis son indépendance en 1825 sous la domination d’une élite blanche corrompue, héritière du colonialisme espagnol. Les Indiens ont été depuis la colonisation victimes de travail forcé, d’esclavage, d’oppression et de misère. Seule lumière au tableau, la Révolution Nationale de 1952 (1) qui a vu la nationalisation des grandes mines, le décret de la grande réforme agraire et l’approbation du vote universel.

C’est dans ce contexte historique de division ethnique et de racisme envers les peuples autochtones que des mouvements indigénistes, de paysans pauvres, de cocaleros et d’ouvriers virent le jour. Evo Morales, né en 1959, est un enfant de ces luttes pour la dignité du peuple bolivien. Syndicaliste et défenseur de la culture de la coca, il s’est opposé à l’ingérence de la DEA (Drug Enforcement Administration), l’organe états-unien censé « lutter contre le narcotrafic » en Amérique Latine mais qui en réalité a tenté à maintes reprises de déstabiliser des gouvernements qui ne plaisaient pas à la Maison Blanche (comme ce fut et c’est encore le cas au Venezuela où cette organisation terroriste travaille conjointement avec les paramilitaires d’extrême droite colombiens et l’ancien président Alvaro Uribe).

Après un long chemin de lutte où Morales échappa à une tentative d’assassinat orchestré par la DEA ainsi que son exclusion du Parlement ainsi que celle de son parti le Movimiento al Socialismo (MAS) en 2002, il remporte finalement l’élection présidentielle dès le premier tour le 18 décembre 2005 avec une large avance : 53,7% des voix. C’est la première fois qu’un mouvement remportait l’élection dès le premier tour sans avoir à constituer d’alliances au Parlement. L’élection de ce pauvre paysan cocalero ainsi que d’un ex-guerillero, le vice-président Alvaro Garcia Linera, sonne comme un coup de tonnerre dans la société bolivienne. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un Indien arrive à la plus haute fonction de l’Etat. Morales symbolise désormais l’espoir pour des millions de Boliviens pauvres, meurtris par des années de néolibéralisme qui n’ont fait qu’aggraver la misère et répandu la faim et le désespoir. A l’arrivée au pouvoir de Morales, la situation est criante : la Bolivie est un des pays les plus pauvres du monde. En Amérique, seul Haïti connaît une pauvreté plus importante que la Bolivie. En ville, le pays est ravagé par le chômage et l’indigence tandis que, dans les campagnes, les gens souffrent de malnutrition. Mais fort de son passé de lutte syndicale et malgré l’opposition parfois violente de l’élite économique et des tentatives de déstabilisation de la part de l’impérialisme états-unien, Morales entame de profondes réformes afin de combattre les graves problèmes sociaux qui frappent durement le pays.

Juste après son élection, en 2006, il décide de redonner à l’Etat un rôle majeur dans la refonte de l’économie bolivienne, cette dernière étant basée essentiellement sur l’exploitation du gaz et du pétrole. Les multinationales étrangères s’enrichissent pendant que le peuple meurt de faim. Avant 2006, 82% des bénéfices liés au pétrole et au gaz allaient dans les poches des transnationales comme BP, SHELL ou encore TOTAL. L’Etat, lui, ne recevait que 18% de cette manne. La loi de 2006 sur les hydrocarbures inverse ces chiffres ; désormais 82% iront à l’Etat et 18% aux multinationales. Ces nationalisations courageuses, largement appuyées par la population à l’exception des classes supérieures et faisant fi de l’hostilité des multinationales qui voyaient leur pouvoir économique s’amoindrir, ont permis de lancer de vastes programmes sociaux avec l’aide des pays frères, membres de l’ALBA, dont la Bolivie fait partie comme le Venezuela ou encore Cuba(2). Ce dernier a notamment envoyé des milliers de médecins comme un peu partout sur la planète. Grâce à l’excellente compétence des médecins cubains reconnue dans le monde entier, des millions de personnes ont ainsi pu être soignées. La mission de santé « Milagro », présente notamment au Venezuela et qui a pour but de soigner les maladies des yeux, a bénéficié à plus de 600 000 Boliviens.

De plus, entre 2006 et 2014, la pauvrété extrême est passée de 38 à 18% (3). Enfin, en 2008, le pays est devenu la troisième nation latino-américaine après Cuba et le Venezuela à devenir « territoire libre d’analphabétisme ».

Par ailleurs, grâce à une forte croissance économique (4), l’Etat bolivien a initié des projets de développement technologique (5)ambitieux : envoi d’un satellite afin d’accroître la connectivité et la réception d’internet, constructions d’éoliennes, lancement de la médecine nucléaire, maisons écologiques… Autant de projets qui ont pour but de consolider l’indépendance économique et énergétique de la Bolivie.

Sur le plan international et dans son intention de se libérer de la tutelle des Etats-Unis, la Bolivie, tout comme Cuba, le Nicaragua ou le Vénézuela, a développé et intensifié ses relations stratégiques et commerciales avec la Chine et ce, au grand dam de Washington qui voit d’un très mauvais oeil l’arrivée du géant chinois dans son « pré carré ».

Nationalisations, programmes sociaux, réforme agraire, nouvelles coopérations internationales, autant de décisions qui ont fait hurler l’oligarchie nationale et les chancelleries occidentales. Pour les multinationales étrangères ainsi que pour le gouvernement états-unien, l’idée que la Bolivie sorte des pays soumis aux diktats de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, refuse de libéraliser son économie, nationalise le gaz et le pétrole, se rapproche du diable Chavez, est suffisante pour tenter de déstabiliser le gouvernement démocratiquement élu.

En 2006, Philip Golberg (6), qui avait dirigé la mission états-unienne à Pristina au Kosovo, devient ambassadeur des Etats-Unis en Bolivie. Débutent alors des actions violentes dans les régions de Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando où vit l’élite bolivienne. Cette dernière, tout en dénonçant l’étatisme, l’autoritarisme et l’indigénisme du président bolivien, organise des référendums illégaux pour réclamer l’autonomie de ces régions riches en hydrocarbures. Des bandes armées sèment le chaos et la terreur, prennent des aéroports ainsi que des édifices gouvernementaux. En septembre 2008, des paramilitaires assassinent sauvagement trente-et-un paysans dans le département de Pando. Ces événements rappellent étrangement les actions violentes qui avaient précédé les coups d’états au Chili en 1973, au Venezuela en 2002, au Honduras en 2009 ou encore en Equateur en 2010. L’objectif de ces violences orchestrées par les Etats-Unis avec la complicité des oppositions de droite et d’extrême droite nationales est de créer un climat de guerre civile, où la situation serait incontrôlable et justifierait donc une « guerre humanitaire » qui déboucherait ensuite sur un appui financier voire militaire « à ceux qui défendent la démocratie et les droits de l’homme »… Karl Marx avait affirmé : « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre » Ces tentatives de déstabilisation échouèrent et renforcèrent l’appui envers le président Morales. L’histoire ne se répéta pas.

De leur côté, les médias occidentaux lorsqu’ils évoquent (très rarement), le cas de la Bolivie, ne s’intéressent que très peu aux réussites socio-économiques du pays andin. Non, ils préfèrent se concentrer sur la posture « populiste » du président bolivien. Il est vrai que montrer les effets positifs sur la conjoncture économique de la reprise en main par l’Etat de l’économie, des nationalisations, de l’augmentation des dépenses publiques consacrées à l’éducation, à la santé et au logement serait un mauvais message envoyé par les élites économiques libérales aux millions d’Européens qui souffrent tous les jours un peu plus des politiques d’austérité et des privatisations à marche forcée.

Le gouvernement bolivien enmené par son président atypique a, depuis son élection en 2005, transformé en profondeur la société bolivienne. Les avancées en termes de réduction de la pauvreté, de gratuité totale des soins de santé, d’éradication de l’analphabétisme sont remarquables. Néanmoins, le chemin reste long car, de tous les pays victimes du colonialisme espagnol et du néocolonialisme états-unien, la Bolivie est sans doute un de ceux qui en a été le plus sévèrement affecté(7). La pauvreté y est toujours importante et les inégalités subsistent. Par ailleurs, les tentatives de déstabilisation du pays par les Etats-Unis restent fortes, notamment depuis que Morales a décidé de ne plus coopérer avec ce simulacre de « guerre contre le narcotrafic » qui a permis aux Etats-Unis d’intervenir de nouveau en Amérique du Sud.

Avant d’être exécuté en 1781, Tupac Katari, qui avait mené une insurrection indienne contre le colon espagnol, lanca à ces derniers : « Un jour je reviendrai et nous serons des millions ». Il semble aujourd’hui que Tupac Katari soit revenu et que son ombre plane au-dessus des millions de Boliviens qui ont repris leur destin en main et ont lancé leur seconde et définitive indépendance !

Notes :

(1) « Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie », Hervé Do Alto et Pablo Stefanoni.

(2) http://boliviasol.wordpress.com/ope…

(3) http://www.telesurtv.net/news/Boliv…

(4) http://www.telesurtv.net/news/BM-re…

(5) http://www.telesurtv.net/news/Boliv…

(6) « En Amérique Latine, l’ère des coups d’Etats en douce », Maurice lemoine, Le Monde Diplomatique, Aout 2014.

Source : Investig’Action : http://michelcollon.info/Evo-Morales-en-route-pour-un.html