Par Catherine Franchel.

Il existe des villages au Togo où les habitants ont pris leur destin en main et ce qui pourrait, a priori, ressembler à une goutte d’eau dans la mer est devenu un modèle de développement. Cela se passe dans le canton de Kuma sur les hauteurs de Kpalimé, une jolie région montagneuse. 

Mon engagement aux côtés de mes amis humanistes m’a amené à soutenir des projets de développement au Togo. Je voudrais aujourd’hui, 14 ans après, témoigner et raconter cette merveilleuse histoire d’un village où les habitants ont pris leur destin en main. A partir de la création d’un jardin d’enfants, un nouveau modèle de développement social et humain est né et a servi de référence pour la création d’un réseau de quatre jardins d’enfants et aujourd’hui de salles informatiques.

En 2000, je me trouvais au Togo avec quelques amis humanistes pour proposer un modèle d’organisation et d’accompagnement original. Il s’agissait de projets de développement social et humain basés sur une prise en charge des habitants par eux-mêmes d’un point de vue personnel et social.

Dans ce cadre, j’ai rencontré Désiré Hotsiame, originaire de Kuma Tokpli qui voulait impulser dans son village une dynamique visant à répondre aux nécessités de la population.

 

Sa propre fille, Adèle avait deux ans et demi à l’époque et une des nécessités évidentes était de permettre aux plus jeunes d’aller au jardin d’enfants avant d’entrer à l’école primaire plutôt que d’accompagner leurs parents aux champs et de se faire mordre par des serpents.

De plus, il était persuadé que les filles auraient plus de chance de continuer leurs études par la suite en ayant été scolarisées dès la maternelle. Mais il fallait convaincre d’autres parents et comme tout le monde le sait, les habitudes ne sont pas faciles à changer. Ce n’était donc pas gagné !

Enthousiasmé par son dynamisme et son engagement envers sa communauté, je me suis engagée sans hésiter à ses côtés dans ce projet.

 

Après avoir mis en place la structure de base et planifié les étapes, plusieurs campagnes de sensibilisation se sont déroulées. Les habitants les plus motivés ont trouvé un espace qui puisse accueillir les enfants, deux éducatrices bénévoles et ont ouvert la première classe.

Je dois insister sur le fait qu’ils n’avaient rien d’autre que leur propre intention pour mener à bien ce projet, ni livres, ni matériel, pas même l’électricité au village !

Et pourtant lorsque je suis arrivée, six mois plus tard, en juin 2000, j’ai été accueillie en chanson par des dizaines d’enfants de trois à cinq ans qui constituaient la première classe. Tout le village était réuni pour l’occasion. Chants, danses et cérémonies diverses se sont déroulés jusqu’au soir. Ce moment a été magique, inoubliable et très émouvant. Le travail a continué et l’effet « boule de neige » s‘est produit. La rumeur s’est propagée dans les villages aux alentours et très rapidement, le modèle mis en place à Kuma Tokpli est devenu une référence. En moins d’un an, 4 nouveaux jardins d’enfants ont ouvert, c’était un exploit !

 

Je précise que l’accompagnement proposé était avant tout humain, nous n’étions pas là pour une opération « technique », mais bien pour encourager la solidarité, la non-violence et le respect de tous ! Il s’agissait avant tout de s’unir pour permettre l’éclosion de ces projets. Un travail personnel et de groupe a été nécessaire. Des réunions et rencontres  autour des motivations, des doutes, des croyances, des difficultés mais aussi des qualités de chacun ont été organisées.

J’ai le sentiment que mes amis togolais ont été très touchés que l’on s’intéresse avant tout à eux en tant qu’êtres humains et pas uniquement à la réalisation du projet. Peu à peu, des liens forts se sont créés.

 

A ce stade, j’ai proposé à une amie, Assia Olivereau, spécialiste de la pédagogie Montessori de s’associer à ce projet en allant sur place former les éducatrices. Non seulement elle a accepté, mais elle a pris cette responsabilité très à cœur et aujourd’hui encore elle continue régulièrement à proposer des séances de formation. Peu à peu, les éducatrices ont pu recevoir une faible rémunération par les parents et un grand nombre de personnes apportèrent leur contribution en donnant des livres ainsi que du matériel de toute sorte. J’avais moi-même organisé une collecte de dons dans ma résidence parisienne.

 

Déjà, il ne s’agissait plus d’un projet isolé, mais bien d’un réseau de jardins d’enfants sur le canton de Kuma qui avait vu le jour sans aucune subvention, uniquement par la volonté des habitants. Peu à peu, j’ai pris de la distance avec ce projet et je l’ai vu s’installer, s’étoffer, perdurer. Je l’ai vu vivre de loin, me souvenant que quelques années auparavant les pronostics de réussite étaient très faibles avec si peu de moyens !

Aujourd’hui deux des jardins d’enfants ont été repris par l’état togolais, ils sont autonomes. Désiré Hotsiame, lui, loin de s’arrêter, a continué son travail sur le village et le canton et nous pouvons maintenant voir les enfants de la première classe du jardin d’enfants, maintenant âgés de 17 ans , apprendre l’informatique dans une salle mise en place également par les habitants et l’aide d’un ami belge, Dominique Laloux.

 

C’est une aventure humaine qui dépasse tous les schémas classiques des projets de développement… C’est l’intention humaine qui s’envole au-delà de toute espérance et qui se perpétue dans l’autre… Il suffit parfois d’un rien, d’une conversation, d’un encouragement, d’un intérêt porté à l’autre au bon moment, au bon endroit pour que la grandeur humaine se dévoile !

Et moi, je me sens heureuse et en accord avec moi-même d’avoir accompagné ce projet. Cette action si juste continue à vivre en moi et à me guider vers d’autres horizons !