Le 22 mars dernier, l’auditorium du Muséum National d’Histoire Naturelle a été le cadre d’un événement exceptionnel : un concert de paléomusique par l’Orchestre National de France.
A l’occasion du 80ème anniversaire de l’ONF,  Philippe Fenelon a composé une musique pour lithophone néolithique pour illustrer un conte écrit pour l’occasion par Erik Gonthier :
 » Hanaé et les pierres musicales « 

Ce lithophone est composé d’un ensemble de 22 pierres taillées entre -8ooo et -2500 avant JC. 22 « boudins » minéraux cylindriques trouvés dans les sables sahariens de différents pays, dormaient depuis des années dans les tiroirs du Muséum d’Histoire Naturelle consacrés aux pilons. Jusqu’à ce qu’Erik Gonthier ait l’intuition qu’elles n’avaient peut être rien à voir avec la mouture des céréales.  « Les hommes préhistoriques étaient beaucoup plus intelligents que ce que le XIXe siècle a bien voulu nous faire croire. Un instrument de musique, c’est quoi ? Un timbre et de la résonance. J’ai tapé sur un des pilons, il produisait un son magnifique » racontait Erik Gonthier à l’issue du concert.

L’une de ces pierres, pesant 4,5 kg sonne comme une cloche d’église avec une résonance de près de 8 secondes : elle a été surnommée « stradivarius ».

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« Ces lithophones n’ont jamais été joués ensemble, ni maintenant ni à la préhistoire, poursuit avec un sourire l’iconoclaste minéraliste Erik Gonthier. Et il n’est pas le seul à penser que ce concert est une hérésie, même s’il a touché, émerveillé, transporté ses auditeurs. Claire Gaillard, spécialiste des outils en pierre taillée du paléolithique, était farouchement opposée à cette aventure musicale. « En utilisant ces objets, explique-t-elle, on efface les microtraces qu’on peut y découvrir au microscope, les striés, les polis, les petites percussions qui vont raconter l’usage qui en était fait. » Elle admet aussi que dans ce cas « les traces étaient déjà masquées, ces objets ont été trouvés dans les sables, pas dans des lieux préservés, et Erik Gonthier a sans doute déjà percuté ces objets des dizaines de fois ». A l’issue du concert, ces pierres poursuivront leur sommeil millénaire bien à l’abri dans les tiroirs du muséum afin de préserver leur intégrité.

[media-credit name= »Photo par Brigitte Cano » align= »alignnone » width= »300″]Détail du lithophone utilisé[/media-credit]

Lorsqu’on parle de paléomusique, on pêche par excès d’enthousiasme. Cette musique a sûrement peu de chose à voir avec celle de la préhistoire étant donné que ces pierres musicales n’appartenaient pas au même lithophone : on ignore donc comment il était « accordé », c’est-à-dire quelle échelle de fréquence (quelle écart entre les notes) avait été choisie. Le compositeur  de  » Hanaé et les pierres musicales  » a eu recours à une méthode personnelle : « Chaque tonalité a été enregistrée puis analysée. Nous avons ensuite numéroté ces pierres pour les placer dans un ordre allant du grave à l’aigu« , explique-t-il quelques jours plus tôt au cours d’une répétition. Erik Gonthier précise d’ailleurs « Ce qui m’intéressait, c’est le côté un peu sale de ces pierres. Ce sont des quarts de ton, des tiers de ton que j’ai organisés sur la table du grave à l’aigu. »

La musique préhistorique n’est pas non plus une nouveauté. On connaissait déjà les flûtes en os de rapaces datant de prés de 30 000 ans. En 1954, l’ethnologue Georges Condominas avait déjà utilisé pour jouer de la musique « les onze pierres du Vietnam » actuellement au Musée du quai Branly. « Il s’agissait de lithophones laminaires ! », précise Erik Gonthier. C’est à dire : des pierres plates. « On ne connaissait pas de lithophones cylindriques comme les miens… »

Détail de l'une des pierres du lithophone

[/media-credit]Détail de l’une des pierres du lithophone

Ce changement de point vue, transformant des pilons en instruments de musique témoigne d’une transformation profonde de notre regard sur l’histoire humaine ancienne. Les siècles précédents considéraient les hommes de la préhistoire comme êtres à peine sortis de l’animalité, des êtres rustres, grossiers, mus uniquement par leurs pulsions de base. Depuis quelques décennies, les archéologues commencent à étudier ces civilisations avec un regard beaucoup plus humain : alors émergent des monographies sur les arts de la préhistoire, la religiosité, sujets bien éloignés des considérations bassement matérielles.  Alors, le grand public commence à contempler autrement les peintures célèbres de la préhistoire et se rend compte que ceux qui les ont exécutées ne pouvaient être que des artistes. Peu de nos contemporains, mis à part les peintres, pourraient en être les auteurs. Ce changement de perspective sur notre histoire n’est pas un détail. Il mène à penser que l’évolution humaine n’est pas forcément uniquement liée à des nécessités matérielles. Que l’être humain s’inscrit bien au-delà des contingences matérielles, quelque soit l’époque historique dans laquelle il a vécu. L’histoire de l’évolution humaine est peut-être bien autre chose qu’une longue épopée de conquêtes de territoires, de pouvoirs et de progrès technologiques. Mais alors qu’est ce que ce processus humain évolutif ?