Le 20 octobre 2012, deux semaines après sa victoire électorale, Hugo Chávez réalisait son premier et unique Conseil des Ministres de la nouvelle étape de gouvernement. Point principal : la construction de l’État communal, afin de rendre irréversible la révolution bolivarienne.

Hugo Chavez 20 octubre 2012

Un an après ce “coup de barre” (1) et sept mois à peine après la mort de Chávez, la Révolution Bolivarienne affronte la déstabilisation économique impulsée par une droite renforcée des dernières élections et décidée à rejouer le coup d’État de 2002. Face à ce scénario (mélange des scénarios chilien et nicaraguayen) qu’il affronte depuis sa prise de fonctions le 19 avril 2013, le gouvernement de Nicolás Maduro a défini la lutte contre la corruption et contre l’accaparement comme axes d’action immédiats. La stratégie à plus long terme est double : renforcer la production nationale (Maduro a rappelé aux députés que 75 % du PIB restent aux mains du secteur privé) et mettre en oeuvre l’État Communal pour poursuivre le transfert du pouvoir aux citoyens. Maduro y ajoute une offensive culturelle (travail sur le terrain avec les mouvements de jeunes, formation théâtrale pour les enfants de l’école publique, etc..) pour freiner l’offensive des médias privés de masse, majoritaires (“El Capo”, la telenovela du narcotrafiquant sympa, a fait 80% d’audience) (2).

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Le président Nicolas Maduro lance le Mouvement national de formation théâtrale César Rengifo, le 21 octobre 2013.

Le président Nicolas Maduro lance le Mouvement national de formation théâtrale César Rengifo, le 21 octobre 2013.

Lors du Conseil des Ministres d’octobre 2012, Chávez proposa donc “le nouveau cycle de transition”: la construction du pouvoir des citoyens à travers l’État communal. Il mit l’accent sur l’importance de la démocratie dans cette construction : “J’ai le livre du philosophe István Mészáros (3) – expliqua-t-il, chapitre XIX, intitulé “le système communal et la loi de la valeur”. Il y a une phrase que j’ai soulignée, je vais vous la lire, messieurs les ministres, vice-président : “L’étalon de mesure des conquêtes socialistes est  : jusqu’à quel point les mesures et politiques adoptées contribuent-elles à la consolidation en profondeur et d’une manière substantiellement démocratique, de contrôle social et d’autogestion générale ?”.C’est le thème de la démocratie : le socialisme et son essence absolument démocratique, alors que le capitalisme est essentiellement anti-démocratique, exclusion, imposition du capital et de ses élites”.

Ensuite, geste inhabituel pour un président, alors que le suivaient des millions de familles vénézuéliennes à la radio et la télévision, Chavez s’était plaint avec une grande sévérité à ses ministres de leur incapacité à construire l’État Communal  : “Nous continuons à remettre des logements, mais où sont les communes ? On ne les voit nulle part, ni l’esprit de la commune qui est beaucoup plus important en ce moment que la commune elle-même : la culture communale. Je me fais comprendre ? Ou dois-je continuer à prêcher dans le désert à propos de ces choses ?”. Un peu plus tôt, se tournant vers Maduro récemment nommé vice-président, Chávez avait insisté : “Nicolás, je te charge de mettre en oeuvre ce dossier comme si je remettais ma vie entre tes mains : les communes, l’État social de Droit et de Justice”.

Le lancement de l’étape 2013-2019 de gouvernement (4) fut donc l’occasion de réaliser une “autocritique pour rectifier, non pas pour continuer à la faire dans le vide ou aux quatre vents, non: pour agir, agir maintenant, messieurs les ministres. Les communes, cherchez la loi des communes, lisez-la, étudiez-la”.

Un an plus tard, le gouvernement – avec à sa tête celui que Hugo Chávez avait proposé aux électeurs  bolivariens – commence enfin à relever le défi. Dès sa courte victoire aux présidentielles d’avril dernier, Maduro a nommé le sociologue critique Reinaldo Iturriza au Ministère des Communes. En six mois de gestion, celui-ci a intégré les mouvements sociaux au travail du ministère. Des référents communards ont été nommés à des postes de responsabilité importants, suivant les demandes de Chávez et de la population elle-même.
Le communicateur alternatif et directeur régional du Ministère de la Commune Gerardo Rojas signe la légalisation de la Commune Socialiste Sabas Peralta (État de Lara, août 2013)

Le communicateur alternatif et directeur régional du Ministère de la Commune Gerardo Rojas signe la légalisation de la Commune Socialiste Sabas Peralta (État de Lara, août 2013)

C’est le cas de Gerardo Rojas, dans l’État de Lara, membre actif de la commune Ataroa, qui a pris la tête d’une équipe de travail régionale du ministère pour articuler les politiques qui engagent – de la conception à l’exécution –les mouvements sociaux et les communes en construction.

La Commune rurale Negro Primero, dans les montagnes de Carabobo, s’est elle aussi revitalisée ces derniers mois. Ses membres notent les changements opérés dans les politiques menées depuis la création du “gouvernement de rue” et la remise en marche du “coup de barre” (5).

Commune Sabas Peralta

Commune Sabas Peralta, État de Lara. Photos : Leonardo Ramos

Dans de nombreux ministères, restés aux mains de la classe moyenne, être révolutionnaire ou chaviste est mal vu, et il faut apprendre à travailler “masqué” sous peine d’être écarté.

Ataroa et Negro Primero ne sont que deux exemples de communes dans lesquelles il y a un an encore s’exprimaient des critiques amères contre la bureaucratie installée au sein du chavisme. Au lieu de l’appui attendu de l’État, surgissaient des obstacles à la construction du pouvoir populaire. C’est cette critique que Chavez avait écoutée lors de sa campagne présidentielle pour l’exprimer ouvertement lors de ce Conseil des Ministres du 20 octobre 2012.

Aujourd’hui les communards continuent à batailler contre une série de procédures souvent très bureaucratiques et inefficaces mais en général ils sentent que leurs élaborations politiques ont gagné en réceptivité dans les institutions, et ils appuient la gestion de l’actuel ministère de la commune parce qu’il les reconnaît enfin comme sujets.

Le processus complexe de construction du tissu social pour approfondir la révolution n’est pas exempt de contradictions, de pressions et de faiblesses, non seulement à cause de l’offensive de la droite mais du personnel gouvernemental lui-même. Dans de nombreux ministères, restés aux mains de la classe moyenne, être révolutionnaire ou chaviste est mal vu, et il faut apprendre à travailler “masqué” sous peine d’être écarté. Dans ce sens il y a encore beaucoup à construire et rien à fêter. Mais il est bon de rappeler que s’il y a un an on ne comptait qu’une commune légalisée, on vient d’enregistrer la deux-centième et 600 autres sont en cours de construction. Le recensement communal mené il y a un mois sur le territoire national apporte des résultats intéressants sur le niveau d’organisation populaire. Même si beaucoup d’organisations recensées n‘ont sûrement pas un niveau d’activité importante, elles expriment une participation et un engagement populaires : 40.035 conseils communaux, 28.791 mouvements sociaux, avec une projection de 14 mille communes.

Derrière ces chiffres, il y a des milliers de citoyens totalement invisibilisés par les médias internationaux depuis quatorze ans. C’est le cas des membres de la Commune “Máximo Viscaya”.

“Cette commune a permis de ne plus se soumettre au patron. C’est cela, la vraie révolution”.

La Commune Máximo Viscaya, État de Yaracuy, octobre 2013. Photographies : Verónica Canino

La Commune Máximo Viscaya, État de Yaracuy, octobre 2013. Photographies : Verónica Canino

Mercredi de soleil, assemblée. Dans le fond, la montagne de Sorte, un présage qui embrasse et rafraîchit. On se réunit dans une classe de l’Unité Éducative María Silvestre Espinoza, dans la communauté El Copey, une école construite par le pouvoir communal. On compte six conseils communaux au sein de la commune Máximo Vizcaya.

Premier point: la distribution et la vente du sucre et des haricots (qu’eux-mêmes cultivent) dans les communautés concernées. On débat des prix. On sort des calculs, des chiffres, des schémas. Deivis Suárez demande le droit de parole pour critiquer : “nous ne pouvons raisonner comme des commerçants, nous sommes le peuple ! Nous ne voulons pas nous enrichir, oui ou non ?” On tombe d’accord collectivement sur des prix qu’envierait la classe moyenne de Caracas.

Deuxième point : le recensement des usagers du gaz public. Il existe déjà uneEntreprise de Propriété Sociale (EPS) de Gaz Communal, soutenue par un département de Pdvsa (Petróleos de Venezuela, compagnie nationale sauvée de la privatisation, NdT). Un petit nombre de communautés attendent encore l’installation de ce service. Nouvel accord.

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Troisième point : les recettes et dépenses du plan de vacances qui fête ses trois ans d’existence; 200 enfants à peu près en bénéficient. On écoute le rapport sur les dépenses de la semaine dernière. Chaque assemblée alimentera une bourse commune pour offrir ces activités ludiques aux plus jeunes.

Quatrième et dernier point: la problématique de l’entreprise publique Pedro Camejo de mécanisation industrielle de l’agriculture. Ezequiel Castañeda dénonce les mauvais traitements de la direction envers les travailleurs et les paysans. On évoque la création d’un conseil des travailleurs. Ezequiel: “les petits chefs veulent écraser les travailleurs, le problème est grave”. Conclusion : “nous devons nous solidariser avec les travailleurs de cette entreprise qui se dit “socialiste”.

La lumière de l’assemblée troue la nuit de Bruzual. Dès six heures les insectes envahissent la salle et poussent la réunion des communards vers la rue. La meilleure manière de dire est de faire” (José Martí). Et on fait.

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Amarelis Guzmán travaille à temps plein pour la commune. Elle est là où on a besoin d’elle. Elle fait de la politique : “Nous ne voulons pas que d’autres viennent la faire pour nous, nous voulons la faire nous-mêmes”. Elle ne croit pas aux impositions : “Nous ne voulons pas que papa-gouvernement vienne nous construire les maisons, nous pouvons les faire nous-mêmes”. Il y a un déficit de 200 logements. Solution : à El Copey on organise une journée d’auto-construction avec des matériels reçus en donation, on travaille dur, sous la pluie, avec humour. Amarelis conclut: “Nous ne voulons pas du capitalisme et de ses quatre murs, nous voulons construire des logements décents pour “bien vivre”, comme Chavez nous l’a enseigné”.

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Les communards de Yaracuy impulsent ce qu’ils appellent “l’économie communale”, loi organique à l’appui. Depuis trois ans ils se sont organisés. La commune Máximo Vizcaya participe aussi au réseau national de troc, “axe María Lionza”. Ils savent qu’ils ne peuvent se constituer en force économique tant que le capitalisme conservera la force actuelle mais ils expérimentent le système de troc et d’autres manières d’exercer l’économie. La taille de la commune est de 5232,3 hectares. Séparés par des fossés et des rivières, près de 400 hectares sont cultivables et cultivés, On continuera, explique Amarelis, à y développer les semis de haricot sous toutes ses variétés.

– Pourquoi le haricot ?

-Pour son apport en protéines ! Nous avons enquêté pendant des années, les haricots sont hyper-vitaminés, excellents pour la croissance et l’oxygénation du cerveau.

– Sans agro-toxiques, hein?

– Qu’est-ce que tu crois ? C’est une plante sauvage, forte, qui résiste bien aux intempéries. Les parasites ne l’attaquent guère. Elle fournit de l’hydrogène aux sols. Et je vais te dire une chose : avec le CIEPE nous allons expérimenter la transformation du haricot en biscuit, en pain et en boisson.

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Ezequiel Castañeda est un autre de ces paysans à la peau brûlée par le soleil, avec un verbe qui démolit les arguments de celui qui ose critiquer sa classe. “Nous devons profiter de l’eau qui vient d’en-haut”. Et la qualité de la terre ? Il blague: “Si on sème des cailloux dans cette terre, ils germent”. En ce qui concerne l’agriculture soutenable, clef de la stratégie alimentaire, il défend l’échelle réduite, les lopins familiaux ou individuels. On le sent entier, avec ses mains brunes et paysannes.

Dans le “Fundo Zamorano”, aire de production agricole où il travaille, sur cette terre qui appartenait à sa famille, Ezequiel possède à présent un semis moyen de potirons et de maïs jaune. Avec pour paysage la montagne de Sorte, et un coucher de soleil inouï. Son terrain sert d’école pour les jeunes et pour tous ceux qui veulent apprendre à travailler la terre. Toute personne qui y travaille a droit à sa part de la récolte.

Les rivières, la pluie, le bois, sont vus ici comme source de souveraineté : tout ce qui peut servir d’appui aux  semailles et à la culture paysanne sert en fin de compte à construire la commune.

Dans la communauté de La Virgen, épicentre symbolique de la commune, vit Máximo Vizcaya, en chair et en os.

–                     Máximo est toujours en vie ?

–                     Oui ! Il a 90 ans. Nous avons baptisé la commune en son nom, en assemblée, parce qu’il est une légende vivante. Il a été guérillero et tout.

Enfant, Máximo Vizcaya militait dans les rangs du Parti Communiste du Venezuela(PCV). Il est né à Urachiche, aux frontières de la commune. Il a pour épouse Guillermina Carrizález, une charmante femme de 88 ans, accueillante et.. chaviste. Avec son chapeau et son bâton il égrène les histoires de la guérilla, sauf qu’aujourd’hui ils ne sont plus seuls mais entourés de leurs familles et de leurs lopins cultivés.

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Je ne travaille plus parce que je suis très vieux, la terre appartient à présent aux communards”. Máximo consacrait presque tout son temps à la terre. Son lopin produit toujours grâce aux efforts de ses enfants et de ceux qui donnent un coup de main.

Il a travaillé dur pour construire les filières d’alimentation de la guérilla du Front José Leonardo Chirinos. Pas mal d’années “à tomber, se relever, courir”. Aujourd’hui encore il parle du parti de ses premières amours comme la raison d’être de son existence. Il explique que c’est grâce à lui qu’il a pu, un jour, échapper au massacre de Yumare.

Il ne porte plus de fusil en bandoulière mais les communards, qui le voient comme un bastion de la révolution vénézuélienne, ont décidé de lui rendre hommage de son vivant. La zone de la commune, surtout dans les collines, possède une tradition de guérilla, qu’on appelait à une époque la “gauche radicale”.

Amarelis vomit l’État bourgeois: “Cette commune a permis de ne plus se soumettre au patron. C’est cela, la vraie révolution”.

Un des enfants de Máximo, Sólido Vizcaya : “En zone rurale on peut faire une commune; dans une ville où on a l’habitude de consommer, c’est difficile. Comment semer dans le ciment ?”

La commune Máximo Vizcaya est la première et la seule légalisée dans l’État de Yaracuy. Sa vision agrariste de propriété et du travail organique en harmonie avec la nature, en fait une avant-garde du travail communal dans tout le pays.

Il ne s’agit plus de charger et décharger des briques pour le compte d’un entrepreneur mais de travailler collectivement. Et ils le prouvent en pratique: “au-delà d’une charte de papier ce sont les faits qui nous font gouvernement” dit Ezequiel.

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Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne

Lien URL de cet article : http://bit.ly/1avCksU

Sources : 

1. Fernando Vicente Prieto,  Un año del Golpe de Timón: ¿Hacia el Estado Comunal? , http://bit.ly/16sZoEc

2. Ernesto Cazal, La espalda de María Lionza,
http://www.mpcomunas.gob.ve/la-espalda-de-maria-lionza/

Notes :

(1)                Voir “Le président Chávez exige d’avancer vers une communication plus profonde et plus populaire « avec les travailleurs, depuis les usines », et critique l’incapacité du gouvernement à mettre en place l’État communal”, http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/10/21/le-president-chavez-exige-davancer-vers-une-communication-plus-profonde-et-plus-populaire-avec-les-travailleurs-depuis-les-usines/

(2)                “Médias et Venezuela : qui étouffe qui ?”, http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-12-14-Medias-et-Venezuela

(3)                István Mészáros (né en 1930) est un philosophe marxiste hongrois, membre de “l’école de Budapest” formée de disciples de Georg Lukács. Il abandonna son pays après l’invasion soviétique de 1956. Professeur des Universités de Sussex et de York. Prix “Libertador al Pensamiento Crítico 2008” décerné par le gouvernement bolivarien pour son oeuvre : “Le défi et le poids du temps historique : le Socialisme du XXIème siècle”.

(4)                Lire “Ce que va faire la révolution bolivarienne  de 2013 à 2019”,http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/04/15/ce-que-va-faire-la-revolution-bolivarienne-de-2013-a-2019/

(5)                “Nous t’écoutons, Claudia”, http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/05/06/nous-tecoutons-claudia/ ; “Deux tours du monde en 100 jourshttp://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/29/deux-tours-du-monde-en-100-jours-revolution-dans-la-revolution-bolivarienne/ ; et  “Nicolas Maduro : “Le pouvoir du peuple, quand il ne s’exerce plus, finit par s’atrophier”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/19/nicolas-maduro-le-pouvoir-du-peuple-quand-il-ne-sexerce-plus-finit-par-satrophier/