Pour comprendre la tragédie qui accable aujourd’hui les principales villes syriennes et l’escalade de violence qui s’y développe, il faut remonter, dans l’analyse, au début du XXe siècle et même avant. À l’époque romaine, la Syrie représentait déjà un butin alléchant et ses habitants souffraient des invasions que l’avidité – ou la défense de la démocratie et du ‘monde libre’? – causait sur son territoire. Encore avant l’époque romaine, les Egyptiens, Assyriens, Perses, Turcs et même les Hittites s’étaient à plusieurs reprises approprié la vie, la culture et les biens de ceux à qui, par hasard, avait été donné de naître aux abords d’une route facile, côtière au milieu de la rigueur du désert et commercialement presque obligatoire. Depuis 1918, le destin de la Syrie est passé aux mains des Anglais et des Français et récemment, en 1946, ce destin fut « libéré » et « restitué » à ceux qui habitaient vraiment là.

Cette note pourrait s’achever ici et laisser ainsi aux lecteurs le temps et la place de méditer sur la construction de l’histoire et l’assemblage des composantes de cette société syrienne. Cet article a également pour ambition de réfléchir aux affabulations que chacun a avalées sur notre milieu sociopolitique et l’image du monde et de la civilisation que chacun a construite.

Mais poursuivons. Le titre de cet article nous incite à développer le thème des clans …

Comme se répète souvent l’histoire des pays envahis et colonisés, la Syrie a eu une enfance bouleversée à partir du moment où son indépendance lui a été accordée. Plus de 3 siècles d’intervention étrangère ne passent pas sans laisser de traces. De nombreux coups d’Etat, des interventions répétées de l’Occident, des factions et dissidences internes jamais réconciliées et d’autres tentatives ont abouti à la définition d’une République Démocratique, Populaire et Socialiste contrôlée par un parti unique qui s’est maintenu au pouvoir depuis les années 70. Un parti qui a obtenu la réélection de l’actuel président, fils du fondateur du parti qui gouverna le pays pendant 30 ans.
Placée dans une région investie depuis toujours par divers fondamentalismes religieux, la Syrie présente un caractère particulier. C’est peut-être le dernier pays héritier du socialisme arabe qui prétendit être libertaire à l’époque où les grandes compagnies pétrolières ne donnaient pas encore d’ordres au Pentagone. En Syrie, la majorité de la population est arabe musulmane sunnite et la liberté religieuse existe ; y sont considérés comme jours fériés nationaux: Noël aussi bien que la naissance de Mahomet. Tous les 7 ans, il y a des ‘élections’. La peine de mort existe pour punir des ’délits’ politiques. Si elles ne portent pas le voile ou si elles étudient, les femmes ne sont pas décapitées comme dans d’autres pays voisins. L’éducation est gratuite.

En bref, un pays comme d’autres, mais avec la malchance d’avoir du pétrole et d’être au centre du Moyen-Orient. En outre, auto-défini comme socialiste et allié de l’Iran.

Il est difficile de savoir exactement ce qui se passe à l’intérieur du pays.
Les informations varient selon la position idéologique de ceux qui les diffusent par les réseaux Internet et ses innombrables sites.
Les nouvelles arrivent par les ’canaux officiels’, c’est-à-dire les 3 ou 4 agences de presse internationales qui ont assuré et qui contrôlent le flux des nouvelles vers le public mondial qui regarde encore les journaux télévisés centraux. Les correspondants et les journalistes de guerre ne sont pas aujourd’hui des héros ni des Hemingway libres-penseurs mais de simples employés de ces mêmes agences. Ils sont ceux qui, avec un air contrit, depuis une certaine place irakienne dévastée par les bombes, reproduisaient de fausses nouvelles sur le Koweït, comme quoi les soldats de Sadam arrachaient les bébés de leur berceau et les fracassaient au sol. Ces correspondants et journalistes représentent – et ils l’ont démontré clairement lors des derniers évènements du Moyen-Orient – le stylo armé des multinationales et des intérêts politiques qui promeuvent et font naître les guerres. Jusqu’à présent, nous n’en connaissons aucun qui ait présenté des excuses pour les mensonges proférés ou qui ait admis que la précarité de son emploi l’avait obligé à lire des duperies en prenant un air sérieux.

Alors, que croire ? Qui croire ?
Faut-il croire Bachar Al-Assad, le président syrien, un dictateur qui n’hésite pas à faire mourir son propre peuple ?
Faut-il croire Obama, Sarkozy, la reine Elizabeth II et le roi Juan Carlos Ier et les autres leaders mondiaux, sinistres au point de promouvoir une nouvelle Syrie dans le but de sauver l’industrie et le commerce de leurs propres pays ?
Faut-il croire le peuple syrien : un groupe humain kidnappé et soumis aux pires bassesses dont est capable un gouvernement ? Faut-il simplement faire confiance à la « Loi de la Vie », la « nature humaine », le dessein des dieux, la sélection naturelle ou les dommages collatéraux inévitables du progrès économique ? Ou bien faut-il croire que les citoyens syriens qui, selon les images vidéo antérieures à ce conflit, vont au cinéma et achètent des voitures comme n’importe quel voisin uruguayen ou hollandais sont désespérés au point de sortir tous les jours dans la rue même si 100 personnes y sont tuées quotidiennement ? La Syrie constitue-t-elle un obstacle au contrôle définitif de la zone pétrolière dont ont tellement besoin les grandes économies ?

Y a-t-il en Libye des mercenaires syriens et des agents du renseignement turcs qui sortent dans les rues pour tirer des coups de feu et bombarder ?
Est-il vrai que des centaines de médecins jordaniens, qui veulent aider les blessés dans cette situation confuse, campent à la frontière sans pouvoir entrer ?
Les véritables motifs du veto de la Russie et de la Chine à une intervention militaire en Syrie sont-ils liés à leur inquiétude quant à un approvisionnement sûr en pétrole ?
Tant d’armes détenues par l’un et l’autre clan … Viennent-elles d’Israël, de Russie, des États-Unis, du Qatar ?
Les enfants morts dans les explosions dans les rues étaient-ils fils des bons ou des méchants ? Étaient-ils des enfants des milices du Jihad, des forces adverses ou du Front de Défense de la Démocratie ?

Quelle décision difficile ! Le plus probable est que toutes les réponses possibles sont correctes.
Mais il est aussi possible qu’il s’agisse d’affirmations fausses ou d’un mélange subtil de vérité et de mensonge dans tout.

Qu’il serait intéressant que chacun, face à ces paysages humains, aspire à poser un regard lucide et recherche la vérité ! Qu’il serait raisonnable que tout observateur puisse, avec un regard extérieur, se regarder lui-même et reconnaître que son coeur fait un mouvement de pendule suivant son adhésion ou son goût pour une vérité ou une autre !

Combien serait-il sage que nous puissions tous comprendre que ce qui importe, ce n’est pas l’adhésion ou le rejet de l’un ou l’autre clan, mais la réflexion et la comparaison des observations (dans ce cas le conflit en Syrie) avec les valeurs les plus hautes auxquelles on croit !

Ce qui arrive aujourd’hui en Syrie, ainsi que ce qui est arrivé en Libye, ce qu’ont fait les Phéniciens au peuple aborigène de Syrie en occupant son territoire, ce qui a été fait et ce qui se fait n’importe quand et n’importe où par la force et la violence aux autres, est méprisable.

S’il doit y avoir un clan ou une position à prendre face aux événements de notre histoire, que ce soit la défense et le respect de la vie humaine !

Pendant que de nouveaux et interminables messages twitter, mails, notes et commentaires relatifs à la Syrie continuent à passer par le modem qui me relie au monde, je me rends compte que jamais auparavant je n’avais pensé au peuple syrien et à la vie quotidienne de ses étudiants, bergers, commerçants, fabricants de briques, prêtres, mères, pêcheurs, maires de petites localités, poètes, etc. Avec un certain chagrin, je considère qu’il est déjà un peu tard. L’ambiance est déjà créée. Les lumières s’éteignent déjà pour annoncer le début du spectacle. Les agences de presse et leurs sbires – des journalistes sur place ou dans de confortables bureaux à Atlanta – annoncent déjà les acteurs et leurs rôles respectifs de bons ou de méchants, le public est nerveux et impatient tout comme le marché et les bourses.

De tout mon cœur, je demande que, quel que soit le scénario qu’ont prévu les puissants pour les citoyens de Syrie – que je reconnais depuis ce jour comme mes frères -, ils ne subissent pas la douleur et la souffrance qu’entraîne tout acte violent d’un être humain sur un autre être humain. Je demande pour eux la paix et le bien-être.